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Sombre retour
Le jour commençait seulement à se coucher dans la plaine déserte. Penchée au dessus d'un vieux parapet de pierre, Syëhl regardait en riant Tomassh, son ami d'enfance, dérober tranquillement des fruits dans la remise d'un propriétaire. Ses cheveux, devenus d'une longueur effarante, coulaient en flots noirs chatoyés de reflets sur le mur chauffé par la journée finissante, et elle ne songeait pas à les attacher, habituée, amusée même de ce fleuve toujours épandu sur ses épaules. Il y avait bien longtemps maintenant qu'ils avaient pour la première fois sauté le petit muret mangé de mousse, pour terminer leurs repas par ces « emprunts » enfantins. Le temps avait passé, mais les deux jeunes gens, de temps à autres, reprenaient pour un moment ce jeu, sans grand danger d'être vus, d'ailleurs, puisque la remise regorgeait de provisions, et qu'un ou deux fruits de moins n'y changerait pas grand chose. L'excitation due au risque avait depuis longtemps disparu, mais ces chapardages innocents leur remémoraient à tous deux de nombreux souvenirs, et étaient devenus une sorte de tradition que le propriétaire, fermant les yeux à cette jeunesse, tolérait par son silence bienveillant.
Mais tout à coup, dans le silence de cette fin d'après midi à peine troublé par un rire, Syëhl releva légèrement la tête, et ses prunelles jusque là d'un bleu clair prirent une teinte plus sombre, violine. De nouveau assis sur le muret, le jeune garçon s'était immobilisé et observait les mains fines qui se crispaient un peu sur les pierres usées. « Il rentre » pensa-t-il. La certitude de ce retour se peignait sur son visage, que Tomassh, silencieux et grave, voyait une fois de plus changer, effacer l'amie d'enfance derrière un masque impénétrable. Il savait l'adoration de Syëhl pour cet homme, son dévouement et la tendresse que celui-ci lui témoignait en retour. Et pourtant, il ne pouvait s'empêcher de frissonner en sentant combien ce lien resserrait autour de la jeune fille une toile invisible et sombre, dont même lui, si proche, ne pouvait sonder la noirceur. Se retournant vers lui, Syëhl lui sourit. - Je suis fatiguée, je vais rentrer, je pense. Tu travailles demain ? Quelque chose d'inconscient, qu'elle n'analysait pas, le besoin peut-être de préserver cette amitié hors de l'ombre qu'elle s'apprêtait à rejoindre, la poussait à mentir à Tomassh, bien qu'elle ait la quasi certitude à son regard qu'il savait à quoi s'en tenir. Celui-ci soupira. - Oui? on se verra le soir, si tu veux, au hangar. Je te montrerai les dernières pièces? - Oh ! ! Pour ce que j'y comprends? s'écria-t-elle en riant. Tomassh s'était depuis peu trouvé un travail de mécanicien dans une petite fabrique qui louait des vaisseaux, pour transport de marchandises ou voyage. Syëhl de son coté, de plus en plus accaparée par de mystérieux voyages qu'elle effectuait avec son père adoptif, le voyait moins, et les moments passés ensemble prenaient un air plus mélancolique de cette séparation que le temps faisait. Descendant du mur, Syëhl lui cria une dernière fois bonsoir, puis, se dirigeant à travers les broussailles des petits chemins, qu'elle connaissait par c?ur à force de les arpenter, elle rejoignit en quelques minutes l'entrée d'une petite maisonnée à l'écart du village, où elle logeait avec Gaïlon. Ce trajet, tant de fois emprunté, elle le faisait machinalement, toutes aux pensées qui l'agitaient. Ce soir encore, il lui revenait, mais plus sombre une nouvelle fois, plus lointain, de nouveau a reconquérir. Elle tremblait de le voir partir, parce qu'elle ne connaissait que trop ces retours désastreux de bête traquée. Oh, certes, elle avait su très vite qui était ce père adoptif qui l'avait sauvée des flammes. Enfant sauvage, amnésique après l'accident de ses parents sur Adarlon, elle avait accepté pourtant, possessive, cette domination tendre qu'il exerçait sur elle, et elle n'avait pas tardé à en déceler les abîmes. Mais elle ne connaissait que lui, en être blessé par la mort de ses parents, moralement anéantie, elle s'était accrochée à cette existence, et, grandie sous cette aile sombre, elle avait fini par assimiler ses sentiments, jusqu'à vouer une haine implacable à ceux qui le lui rendaient chaque fois plus brisé. Désormais jeune fille, il avait façonné en elle une personnalité rebelle et fière, un caractère difficile à discipliner, et qui pliait seulement sous sa coupe. Elle était son ?uvre, l'enfant de ses propres croyance, n'ayant gardé au c?ur de tendresse extérieure que pour ce jeune garçon qui depuis le début l'avait suivi dans ses jeux, sans se fatiguer de ses sautes d'humeur, au point de réussir à la rendre avec lui moins dure. Pour le reste du village, elle était Syëhl, une jeune fille sombre, effacée souvent, parfois emportée, dangereuse, mais respectée pour cette force qu'ils sentaient en elle. Si Gaïlon, par une hésitation dont elle n'avait pu comprendre le sens, avait toujours refusé de la former, il avait néanmoins fait d'elle une combattante à mains nues hors pair, lui enseignant de nombreuses bases d'arts martiaux, y compris des prises mortelles ou très risquées. Et ce soir encore, le lien qui les unissait bien plus étroitement que lui-même ne l'avait souhaité la guidait vers lui, pour l'aider, le soulager. Poussant doucement pour ne pas l'effrayer le battant de la porte, elle jeta un regard circulaire dans la petite pièce où pas une lumière ne brillait, un instant aveuglée de la lumière du grand jour d'où elle venait. Dans la première salle ne traînaient que quelques chaises, un table dénuée de tout ornement, avec, jeté là à l'abandon, une longue cape d'un noir intense qui pendait en longs plis saccadés et amples. Mais elle n'eut pas le temps de s'habituer plus à l'obscurité. Tournant brusquement la tête vers la gauche, elle bloqua de son avant bras un coup de poing lancé à toute vitesse, et sentit une lame couleur de sang s'arrêter juste sous sa gorge. Immobile, elle plongea les yeux dans ceux de Gaïlon, qu'elle sentait vaciller à coté d'elle. « Encore? » Le bourdonnement du cristal instable occupa seul le vide de la pièce pendant quelques secondes. Debout les bras le long du corps, volontairement à la merci de cette lame dont elle sentait l'ozone et le grésillement a quelques millimètres de son cou, que seule sa respiration soulevait doucement, elle acceptait la menace pour mieux le rassurer, comprenant instinctivement que le moindre geste belliqueux l'engagerait à attaquer, attendant qu'il la reconnaisse au fond de son délire éveillé. Puis, lentement, toujours sans quitter du regard ce visage aux traits tirés, calmant de sa présence silencieuse son mentor, elle étendit sa main libre, et éteignit le sabre qu'il tenait toujours proche d'elle. La lueur rouge flamba encore un dixième de seconde, baignant les deux visages de sa teinte sanglante, puis disparut dans un léger sifflement. Comme si quelque chose se brisait en lui à ce geste, elle l'entendit glisser le long du mur, et le reteint par le bras, pour amortir la chute. Alors une fois de plus, agenouillée près de lui, sa main dans la sienne, l'enfant trouvée puis aimée en dépit de tout, en dépit de l'ombre qui le rongeait, supporta les visions de carnage qu'il rapportait de son voyage. Dans sa tête, sentant hurler sa douleur par des flashs mentaux ininterrompus, elle vit défiler des visages, et elle sentit, de nouveau, la peur, l'horreur éprouvée par ses victimes, le goût du sang dans sa bouche. Tremblant elle-même de tout son corps, incapable de le calmer autrement qu'en acceptant d'être le réceptacle de ses cauchemars, elle fermait les yeux sous la violence des images qu'il revivait, ivre de ce sang que lui-même ne pouvait plus arrêter entre ses mains vengeresses. Des minutes, des heures, elle ne put jamais dire combien de temps passa. Les murs de la pièce tanguaient dangereusement dans son effarement, à coté de cet homme délirant de souffrance enragée, secoué de spasmes. Et elle serrait plus fort cette main froide dans la sienne, réunissant ce qui lui restait de vie dans cette étreinte, désespérant de ramener un peu de chaleur à ce père qui l'avait sauvée du feu. Cette crise était plus terrifiante encore que toutes les autres. Tendant sa volonté jusqu'à ses derniers retranchements, elle ne repoussa rien de ce qu'il lui dévoila, sachant instinctivement que toute rupture du « lien » pouvait le tuer. Puis enfin, tout se calma. Ainsi qu'une vague se disperse après avoir heurté les rochers, les visions s'espacèrent, s'effacèrent de son esprit harassé, laissant place à un silence assourdissant. Ouvrant difficilement les yeux, elle regarda un instant Gaïlon qui semblait enfin un peu détendu, étendu contre le mur, le visage pâle, les yeux clos. Terrassée, elle lâcha sa main et glissa dans l'inconscience?
devotion's choice
Lorsqu'elle reprit connaissance, elle était allongée sur un lit, couverte jusqu'au menton par la longue cape de tissus noir de Gaïlon. L'obscurité était presque totale derrière les volets poussés, seuls quelques pâles rayons de lumière diffuse halaient l'air. Douloureusement, elle examina pendant quelques secondes des yeux l'endroit où elle se trouvait, avant de rassembler ses esprits. Son corps entier n'était qu'une unique courbature, et le sang tapait violemment contre ses tempes. Chaque mouvement, même infime, lui causait une nausée irrépressible. Un frisson la parcourut au souvenir de ce qui venait de se passer. Refermant les yeux, elle contempla en elle des sentiments confus l'envahir sans possibilité d'intersession : une révolte venue d'âges lointains, soufflée par tous ces visages inconnus, entrevus dans les flashs des crises du jedi sombre, et qui la hantait au point de prendre possession d'elle-même. Tout se mêlait irrésistiblement, le passé, le présent? Leurs cris d'agonie, il lui semblait qu'ils étaient siens. Leur haine se fondait en elle comme si elle l'avait toujours ressentie. Son esprit enfiévré ne savait plus qui pensait quoi, se laissait peu à peu gouverner, posséder. Tout à l'heure, elle s'était faite invincible pour le sauver, pour être plus forte que son mal ; le but lui avait donné les moyens. Mais allongée maintenant, dans la chaleur intenable qui la torturait, sous cet habit qui la recouvrait, une passivité immense la pénétrait. Pourquoi lutter, puisque revenaient toujours cette tentation, à chaque nouvelle crise ? Au milieu de tous ces hurlements, elle ne reconnaissait plus les siens propres. Puisque plus rien ne lui appartenait, ne lui ressemblait même en elle, se laisser aller, enfin. Devenir ce que la plus forte de ces autres existences, de ces entités inconnues, ferait d'elle, se perdre pour ne plus souffrir?
La fraîcheur d'une main sur son front brûlant lui fit rouvrir les yeux. La fixant du regard, Gaïlon était penché vers elle. Dans un brouillard, elle voyait ses lèvres remuer, elle sentait surtout l'éclat de ces yeux la pénétrer, fouiller en elle. Instinctivement, elle se raidit dans un gémissement pour briser ce lien. D'abord, elle ne comprit pas les sons. Ils semblaient venir de très loin, étouffés par ces autres voix qui la dominaient. Se cambrant d'un mouvement brusque sur le lit, elle se débattit faiblement, les muscles tendus nerveusement dans son délire, repoussant de ses mains errantes les présences qu'elle croyait voir se matérialiser dans ce contact physique et ce regard posé sur elle. Mais d'une pression à la fois douce et implacable, il maintint son visage tourné vers lui, l'obligeant à plonger ses yeux dans les siens. La peur devait se lire sur le visage de Syëhl, mais des deux, celui de Gaïlon n'était pas le moins pâle. Il avait trouvé la jeune fille évanouie près de lui à son réveil, en proie à un délire qu'il ne connaissait que trop. Elle avait donc encore pris en elle ce mal, cette enfant qui l'étonnait depuis tant d'années ? Lorsqu'il l'avait récupérée, miraculeusement sauve de ce vaisseau, presque sans une égratignure, mais amnésique, il avait tout de suite compris quel rôle elle pourrait jouer. Elle serait son instrument de vengeance, patiemment formé, l'arme que personne ne soupçonnerait et qui détruirait de l'intérieur les fondements de ceux qu'il abhorrait désormais. Il avait ramené chez lui, soigné, apprivoisé doucement cette petite sauvageonne, toute d'instinct, encline aux passions violentes comme aux haines. Mais l'enfant avait eu un effet inattendu. S'il avait réussi à la dominer, c'était pourtant lui, parfois, qui tremblait sous ce regard possessif, sous cette petite main qui prenait la sienne. Il regardait impuissant cette existence se mêler à la sienne bien plus qu'il ne l'aurait voulu au départ, occuper dans son c?ur qu'il croyait mort une place bien plus grande que celle qu'il voulait lui donner. Il s'était pris à aimer cette vie sauvage, d'une nature révoltée et passionnée, ce bout de femme qui grandissait peu à peu près de lui. Et Elle ne cessait de l'étonner, d'un caractère changeant, où il reconnaissait son influence, mais aussi une force morale insoupçonnée dans les moments d'épreuve, chez cette fille frêle et nerveuse. Elle avait, de sa seule présence, soulevé un coin du voile. Avant elle, jamais sa conscience ne l'avait torturée des crimes qu'il accomplissait. Ce premier geste de clémence, même intéressé, envers cet être qu'il aurait pu broyer d'une main, avait déclenché tout un mécanisme en lui dont il n'était plus le maître, qui couvait sous l'ardeur de sa rage, et se réveillait de temps en temps comme un trop plein d'horreur. La première fois qu'il avait repris connaissance d'une de ces crises, il avait retrouvé en face de lui une enfant de douze ans blanche de terreur, sa main crispée sur la sienne, immobile et le regard agrandi fixé comme au delà de lui. Syëhl l'avait vu revenir, puis chuter violemment contre un mur. Dans sa panique, elle avait saisi sa main pour le rassurer de sa présence, et avait vu défiler devant ses yeux des territoires inconnus, des visages contractés par la violence de leur peur, un sabre couleur de sang qu'elle connaissait bien s'abattre sur une gorge. Et elle était restée muette, à fixer ces songes horrifiants qui se brouillaient dans sa tête. Quand il s'était relevé pour la prendre dans ses bras, comprenant avec stupéfaction ce qui s'était passé, l'enfant, brusquement, s'était mise à hurler, hors d'elle, et à frapper la poitrine de celui-ci de toutes ses forces. Il lui avait bien fallu 15 minutes, à la tenir étroitement serrée contre lui en lui parlant sans interruption, pour qu'elle reprenne un peu ses esprits, reconnaisse sa voix et cesse de frapper. Elle avait ensuite gardé pendant des nuits entières les yeux ouverts, dans un mutisme total, se laissant soigner par Gaïlon sans même montrer qu'elle ressentait quoique ce soit, étrangère au monde extérieur. Il désespérait de la ramener vers lui. Mais alors même elle lui semblait irrémédiablement perdue pour lui, une nuit, elle s'était soudainement levée, et avait silencieusement posé sa main sur son épaule, comme il la veillait, à moitié terrassé par le sommeil sur une chaise. Pas un mot n'avait été échangé, mais leur destin était ainsi scellé. Elle acceptait. Tout. Sans condition, juste par adoration. Elle garda par la suite dans ses yeux un reste de la lueur grave et adulte qu'elle avait posée sur lui cette nuit là. Il ressentit au travers du brouillard sa présence rassurante à chacune de ses crises. Elle accepta les visions, se fit réceptacle, pour lui permettre de se libérer, parfois au péril de sa propre vie, qu'elle savait lui devoir depuis ses cinq ans. De nombreuses fois, il la retrouva évanouie, vaincue au dernier moment par la violence des flashs, et au fur et à mesure des années, il comprit le danger pour elle, dont la personnalité se trouvait soumise aux assauts répétés de ces fantômes. Un jour ou l'autre, celle qui se réveillerait ne serait plus Syëhl, mais une autre, l'une de ces entités d'un instant qu'il avait croisée, analysée froidement dans l'être à sa merci, puis tuée, et qu'elle gardait en elle de ses incursions dans son esprit. Un jour? Cette pensée était insupportable au jedi noir? Peu à peu, encore une fois, le magnétisme de ses prunelles semblait infuser en elle une volonté plus forte que celles qui s'y battaient déjà, et Syëhl sentit qu'elle se focalisait sur cette voix, sans détourner son regard. Ses mouvements se firent moins saccadés, ses muscles se détendirent un peu, elle reposa enfin ses mains inertes sur le manteau. « Sy?ac.. oi? ». Les paroles lui redevinrent intelligibles, elle sembla s'éveiller lentement d'un cauchemar, guidée par ces yeux. « Ecoute ma voix, Syëhl? Mon enfant, regarde moi? Syëhl?Tu dois lutter contre elles. Ne les laisse pas prendre le contrôle. Reste avec moi? » Un soulagement s'insinua lentement dans ses membres, bercée par le timbre de sa voix. Les autres résonnaient encore, mais moins fort, comme en sourdine, elle fit un effort pour les réduire au silence. Lucide désormais, elle écoutait leur cacophonie disparaître au rythme progressivement plus calme des battements de son c?ur. Le jour se levait graduellement, comme une renaissance complice de son réveil. Le plus terrible était passé. La peur, l'impuissance s'en étaient allés. Sa propre volonté revenait, et celle de Gaïlon s'effaçait d'elle, de manière inversement proportionnelle, la laissait reprendre le contrôle. Ce ne serait donc encore pas pour cette fois. Ce néant qu'elle frôlait si souvent n'avait une fois de plus fait que la couvrir des prémices de son ombre, sans réussir à l'annihiler complètement. Refoulant au fond d'elle-même les dernières brides de présences étrangères, brisée au sortir de cette double lutte, elle se laissait aller un peu, dans le va et vient de son sang qu'elle sentait encore tambouriner, bien que moins fort, dans sa tête. Bientôt? Bientôt, elle ne parviendrait peut-être plus à repousser ces assauts. Cette certitude s'écrivait en lettres de feu dans son esprit. Et alors? Qu'adviendrait-il ? Elle savait qu'il avait conscience, lui aussi, du risque. Un dernier vertige de détresse passa un instant dans son regard. Elle ferma les yeux. Que lui arriverait-il ? Est-ce qu'il l'a rejetterait, si elle se montrait trop faible ? Un soupir à coté d'elle lui fit rouvrir les yeux. Une grande souffrance se lisait sur le visage de Gaïlon. Il avait ôté sa main de son front où perlaient encore des gouttes de sueur, et, assis près du lit, dans la demie obscurité du contre jour naissant, les coudes appuyés sur ses genoux, il la fixait intensément. Jamais encore elle n'avait vu cette expression là. Elle l'avait récupéré enragé, délirant de douleur et de meurtrissures, elle avait deviné mille fois le combat incessant dans cette âme d'ancien jedi entre l'ombre et la lumière enfouie en lui, encore assez vivante pour lui faire détester parfois ses gestes, sans pour autant pouvoir l'en empêcher. Elle savait que ces crises abominables, c'était son ancienne droiture qui se révoltait, dans les moments où, rassasié de sang, lui revenait, avec le souvenir d'anciens temps qu'elle ne connaissait pas, l'horreur de ce qu'il était devenu. Mais même dans ces instants de lucidité, il restait sous l'emprise du coté obscur, violent dans ses douleurs, habité d'une rage qui ne lui laissait aucun moment de répit. Jamais encore il ne lui avait révélé cette expression de souffrance humaine et passive. Etait-ce elle qu'il fixait ainsi ? Regrettait-il de lui avoir révélé l'ombre où il se débattait ? Ou était-ce une époque bien antérieure qu'il revivait à cet instant, au delà d'elle, dans un monde où sa place n'était pas ? « Gaïlon ? » murmura-t-elle faiblement. Passant une main sur son propre visage, le jedi noir se leva, et se pencha de nouveau vers la jeune fille, cherchant un instant en elle si tout était redevenu normal. Syëhl lui sourit faiblement. Vaguement rassuré, reprenant peu à peu un air impassible, il se dirigea vers une petite boîte qu'il ouvrit, pour sortir une seringue emplie d'un liquide ambré. Levant sa main droite au niveau de ses yeux, il appuya faiblement sur l'embout, regarda quelques gouttes du produit sortir de l'aiguille, puis s'en revient vers le lit. « Tu as encore beaucoup de fièvre, il faut te reposer. Je vais t'administrer un calmant, cela fera tomber un peu ta température, tu pourras reprendre des forces? » Le ton se voulait sans réplique. Levant les yeux vers lui, elle chercha un instant à dire non, affolée à l'idée de sombrer de nouveau, mais une lassitude la reprenait dans la douleur parcourant tous ses muscles et la chaleur ambiante. Elle lui abandonna son bras, et sentit nettement à travers ses nerfs ébranlés la piqûre et la légère brûlure du produit se répandant dans ses veines, fulgurant de rapidité sur son organisme affaibli. Dans une légère brume, ses pensées se troublèrent, le calme artificiel du mélange l'envahit. Elle voulut parler, mais aucun son ne sortit. Un court sentiment de tristesse parcourut encore ses prunelles troubles, sur lesquelles s'appesantissaient ses paupières. Tendant ses forces, elle se redressa un peu sur le lit. « Non » articula-t-il nettement. « Dort, maintenant » La légère pression de sa main qu'il posa de nouveau sur son front fut la dernière chose qu'elle détecta. Sa tête s'abaissa sur l'oreiller, ses paupières retombèrent lourdement malgré ses efforts. De nouveau, elle se sentit basculer, et le noir se fit complet.
dernier répit
Le couloir se prolongeait, interminable. Chaque pas devenait une torture. Les pieds nus sur la pierre inégale glissaient par instant, elle devait avancer à taton dans cette obscurité impénétrable. Syëhl avait la sensation très nette d'avoir oublié le but de sa présence ici, ce qu'elle cherchait. Etait-elle déjà passée par là auparavant ? Oui, sûrement, puisqu'elle savait à l'avance que dans quelques pas, le hall prendrait un brusque virage à droite. Ce qu'elle n'arrivait pas à se remémorer, c'est comment elle savait cela. Ni pourquoi elle peinait à gravir cette pente sombre qui tenait plus maintenant de la grotte que du couloir. Mais une sorte d'instinct lui dictait d'avancer, d'avancer encore, même sans comprendre? Juste pour survivre? mais survivre à qui ? Sa main, appuyée au mur commença à trembler? un danger allait apparaître, identique? identique à quoi? Cette impression de déjà vu en elle, indépendante de sa libre pensée, la glaçait? Et cette impossibilité de s'arrêter pour faire le point? D'ailleurs pourquoi ne pouvait elle pas ? Elle fit un effort pour stopper sa progression, pour passer outre la voix qui lui murmurait indistinctement que cela ne servait à rien, qu'elle avait déjà tenté les autres fois? Qu'elle tenterait et échouerait une fois de plus maintenant? et la prochaine fois aussi?. Impossible. Elle allait continuer, toujours, toujours, les membres entravés de liens invisibles la dirigeant comme un pantin jusqu'à ce que ce danger, cet obstacle éclatant apparaisse? Plus que trois pas et sa main qui tremble contre le mur tiède ? deux pas?ses yeux grands ouverts sur cette certitude oppressante? un pas, sa respiration accélérée dans cette chaleur insupportable? et soudain ces flammes, gigantesques, aveuglantes, fascinantes, cette ombre à l'intérieur qui s'avance, indistincte, qui s'empare de ses épaules inertes, refusant de bouger dans la frayeur qui la tétanise ? « Abandonne ! ? »? Se rejetant brusquement en arrière dans un violent effort de sa volonté pour briser ces liens invisibles, elle se retrouva soudain dressée les yeux grands ouverts, les pupilles agrandies de frayeur, les mains tendue derrière elle froissant le drap du lit, respirant précipitamment.
Un rêve?. Toujours le même. Un sourire désabusé se dessina au coin de ses lèvres tandis que sa respiration se calmait progressivement. Voilà pourquoi elle savait à l'avance? A chaque fois, éveillée, la conclusion qui lui faisait défaut durant son sommeil sautait aux yeux? Mais qui lui intimait ainsi l'ordre d'abandonner ? « Et abandonner quoi ? » se surprit-elle à penser. Un grand silence régnait dans la bâtisse, où filtraient les rayons de la lumière extérieure, tamisée. Ecartant la cape , elle se redressa totalement, posa ses pieds sur le sol , resta quelques instants assise sur le bord du lit, silencieuse. L'ample chevelure d'ébène glissa progressivement, découvrit les épaules frissonnantes, déborda en vagues jusqu'à ses pieds. La fièvre était tombée, emportant avec elle l'horreur des visions et des songes, mais les réveils étaient de plus en plus difficiles, précédés de rêves fantasmagoriques où l'ombre inconnue tentait de s'emparer d'elle. Et ils se faisaient de plus en plus précis, répétant inlassablement les mêmes scènes, avec chaque fois un élément nouveau. Mais toujours, lorsqu'elle rejetait cette ombre ou qu'elle tentait de la dévisager, le songe prenait fin brusquement. Il ne lui restait de ce cauchemar qu'une vague fatigue _ simplement les derniers effets du somnifère _ et une curiosité effrayée en pensant que peut-être la fin du rêve ne lui serait révélée qu'en coïncidant avec sa mort. « Combien de temps ai-je dormi ? » Elle essaya vainement de le deviner à la luminosité, mais les volets rabattus empêchaient toute idée précise. Des murmures indistincts se faisaient maintenant entendre à l'extérieur. Sans prendre même le temps de rattacher ses cheveux, elle se leva souplement, remis sur ses épaules la cape noire qui la couvrit toute entière, puis sortit de la pièce et s'avança vers la porte. Gaïlon tourna la tête vers l'encadrement de celle-ci en voyant apparaître Syëhl. Un instant muet, il l'enveloppa d'un regard sans se soucier de l'homme debout à coté de lui, avec qui il parlait quelques instants plus tôt. Lui aussi d'ailleurs avait tourné la tête. Ainsi drapée de noir, la chevelure de jais encadrant de manière désordonnée et rebelle le jeune visage encore un peu pâle où brillaient deux yeux d'un bleu cristallin, elle semblait personnifier à la perfection le but pour lequel elle avait été élevée, secrètement. - « On ne peut rêver meilleure élève », murmura d'un air subtil l'homme aux cotés de Gaïlon, qui avait surpris l'infime sourire un instant passé dans les yeux de celui-ci. « Un rien dangereuse pour nous, cela dit? » Le visage de l'homme à ces derniers mots se fit plus dur, animé d'une rancune tenace contre cette enfant sauvage de qui il sentait l'influence en Gaïlon, de plus en plus forte chaque jour. Il la regardait debout devant l'entrée de la bâtisse, frêle, et l'envie de la briser d'un seul coup, comme un être nuisible, s'empara de lui avec plus de violence. Se retournant brusquement, Gaïlon étendit le bras vers lui. Celui-ci porta vivement les mains à son cou, soulevé de terre par une force invisible, étouffant. - « Je n'aime guère ce genre d'insinuations. Douterais-tu de moi ? » Syëhl s'était arrêtée à quelques pas de la porte, dévisageant sans surprise la scène. Aucune once de pitié ne traversa son regard, qu'elle avait fixé sur l'homme blêmissant, et un sourire narquois dessinait même plus en creux ses fossettes. Elle n'aimait pas les fréquentations de Gaïlon, et celles-ci en général le lui rendaient bien. Elle connaissait leur aversion pour elle, lisait dans leurs yeux le mépris que ces compagnons lui portaient. Généralement, elle les évitait et se contentait de passer sans les voir, en favorite consciente de la fragilité de ses privilèges. Mais de tous ces visages sinistres qui entouraient plus ou moins périodiquement Gaïlon, celui qu'elle détestait le plus était bien ce Jardenn qu'elle toisait en ce moment, raidie dans ces apparats noirs, d'un regard hautain et glacé, reine orgueilleuse à laquelle on sacrifie un sujet. Elle n'avait pas besoin d'entendre leur conversation, elle savait à l'animosité qu'elle rencontrait dans ces yeux ce qu'il disait, le pourquoi de la réaction violente de son mentor. - Tu .. te laisses attendrir? par elle? Sans un mot, Gaïlon resserra son étreinte, et sourit cruellement. - « Ah vraiment ? Tu veux peut-être une démonstration de ma soit disant faiblesse ? » Avalant avec difficulté, celui-ci secoua négativement la tête, incapable de prononcer une parole de plus sous la pression qui bloquait sa glotte et empêchait la déglutition. Le jedi noir resta encore quelques instants comme cela, écoutant le sifflement rauque de la gorge étranglée, puis rabaissa brusquement son bras et regarda l'homme projeté à terre tousser et reprendre son souffle. Se penchant pour mettre son visage au niveau du sien, il murmura entre ses dents : - « N'est ce pas simplement que tu as honte d'avoir été déjà mis KO par elle ? Hum ? Dangereuse, elle le sera pour eux? Ne vous avisez jamais de toucher à un seul de ses cheveux sans que j'en donne l'ordre? Jamais? Est ce clair ? » Puis se redressant de toute sa hauteur, il ajouta d'un ton qui se voulait sans réplique : - « Ne remet plus jamais en cause mes décisions ou mes jugements? Tu n'es pas irremplaçable? » L'homme serra les poings, blanc de colère rentrée, et baissa la tête, pour voiler son regard par trop provocateur. Puis se relevant avec un visible effort, il essuya d'un revers de manche un filet de sang à sa tempe, qui avait heurté dans sa chute une pierre assez aiguisée , et finit par lâcher d'une voix sinistre de menaces : - « Comme tu voudras? » - « Alors va préparer ce dont nous avons parlé? demain, tout doit être prêt? » reprit Gaïlon froidement en baissant le ton, après avoir jeté un coup d'?il à la silhouette féminine qui s'approchait de lui. S'inclinant, l'homme quitta la place, rejoignant d'un pas rapide le vaisseau posé à quelques distances. Sa démarche rageuse résonna sur la rampe d'accès du vaisseau. « De toute façon, sans lui, cette petite mijaurée ne fera pas long feu? » pensa-t-il. « J'ai tort de me tracasser? Il a déjà accepté de la tester. Demain? elle se retrouvera seule ? D'une manière ou d'une autre, elle ne tardera pas à disparaître? »
l'énergie de la haine
La vitre contre laquelle atterrit l'humain vola en éclat sous le choc dans un bruit cristallin, et s'éparpilla en millier d'étincelles tranchantes autours du corps prostré. Celui-ci releva péniblement la tête en entendant crisser le verre pilé sous les pas de la jeune femme. Des paquets gras et des déchets de toute sorte s'entassaient dans cette ruelle sombre, débarras à l'arrière du bar, condamnée par des planches de ferraille à son extrémité, où il l'avait lui-même amenée quelques instants plus tôt. Derrière elle, les fumées de quelque soupirail souterrain s'élevaient en volutes grisâtres. Le noir profond des cheveux, que le moindre mouvement faisait onduler, se détachait sur ce fond vaporeux. Il regardait avec effarement s'avancer, à travers le filtre rouge du sang de son arcade sourcilière tailladée, la silhouette féline qu'il ne reconnaissait pas. Un si brusque changement de personnalité le prenait au dépourvu. Il essaya péniblement de se redresser, mais sa jambe droite ne le portait plus, et il dérapa sur le verre brisé. Son regard remonta lentement le long des jambes de la jeune fille, s'attarda un instant aux hanches soulignées des plis d'une sorte de tunique étroite et sombre, suivit le contour de la taille fine puis de la poitrine. Une violente envie de se jeter sur elle, brutalement, de la posséder ici même, sans ménagement, pour étouffer son rire narquois et la forcer à demander pitié l'envahit de nouveau, un goût âcre de désir refoulé imprégnant sa bouche. Qu'est ce qui avait foiré ? C'était pourtant une proie idéale, aguichante avec son petit air désabusé et fragile, perdue dans un coin sombre du bar glauque où il venait souvent. Il avait souri en constatant avec surprise qu'elle était seule. Aucun souci, personne ne s'inquiéterait de sa disparition. La voler, et pourquoi pas plus? Tout ce qu'il y avait de plus attirant et de plus simple. D'ailleurs elle s'était laissée approcher assez facilement, acceptant un verre, puis deux. L'alcool local était fort, la température assez chaude pour altérer. Il avait très vite vu ses yeux briller d'un éclat trouble et avait glissé un bras autours de sa taille en lui proposant de la raccompagner. Elle s'était laissée faire?jusqu'à cette ruelle?
L'homme sortit de ses réflexions en se sentant soulevé de terre par le col. Deux prunelles violettes, brillant d'un éclat trouble et froid le fixaient, tandis qu'il sentait son haleine chaude contre son visage, et sa main libre fouiller les poches de son manteau. Un sourire satisfait se dessina au coin des lèvres de la jeune femme. - « Deux erreurs », commença-t-elle. « M'avoir approchée ? » Elle ne put terminer sa phrase. Un éclair brilla un instant sur sa gauche, puis la sensation faible d'une brûlure à la joue, et la saveur typique du liquide chaud coulant jusqu'à ses lèvres. Elle avait reculé juste à temps. Profitant de l'attention qu'elle portait à sa recherche, l'humain avait dégainé un poignard, et frappé au hasard, dans une dernière tentative. Les yeux de Syëhl se durcirent tout d'un coup, tandis qu'elle saisissait le poignet de l'homme de sa main libre et serrait. - « ? et me croire faible », articula-t-elle d'une voix glacée. L'homme poussa un cri rauque, mêlé à un craquement sinistre et au bruit de la lame métallique heurtant le sol. Relâchant alors le col de l'individu et son avant bras, elle le regarda s'affaler de nouveau parmi les débris de verre, blême de douleur, le poignet brisé. Les lèvres au carmin violemment avivé par le sang se muèrent en un sourire carnassier. - « Qui est la proie, maintenant ?? » La respiration saccadée, il la regarda se pencher et saisir le couteau à terre. La lame capta l'éclairage artificiel, l'atteint une seconde de la même lueur d'acier que celui de la jeune femme. Se redressant, Syëhl éprouva du pouce le tranchant de la lame, tranquillement, puis se rapprochant, la pointa au niveau du c?ur de l'homme. - « Joli joujou? Mais trop dangereux? Tu pourrais blesser quelqu'un avec ca? » Celui-ci se mit à trembler violemment, le froid du métal le pénétrant à travers le tissus. Syëhl fixait toujours le visage décomposé, sans aucune pitié. Elle semblait s'interroger sur la suite des événements. La pointe du coutelas s'enfonça un peu plus, déchirant le tissus, lentement, puis la chair, tachant légèrement les bords de la déchirure d'une auréole rouge sombre. Jetant un cri, l'homme se mit à balbutier, perdant tout orgueil, d'un ton implorant : - « Arrête ça ! arrête ! ! ! » Une pointe de dégoût lui vint de cette loque gesticulant sous la douleur. Retirant lentement le coutelas, elle l'essuya d'un revers de poignet contre l'épaule de l'homme secoué de sanglots réprimés, se releva, et le passa à sa ceinture. - « merci pour les crédits? et pour le verre », termina-t-elle dans un ricanement. Puis sans plus sembler faire attention à lui, elle ramassa sa capeline tombée à terre, et le petit sac trouvé dans la poche de l'homme, qu'elle avait lâché dans la bataille, et rejoignit l'artère principale en examinant sa trouvaille, sans seulement croiser une seule personne, à cette heure tardive. De l'argent. C'était son principal et son plus constant souci. Depuis sa fuite devant l'entrée du temple jedi de New Coruscant, depuis? Syëhl serra un instant les poings au souvenir de ce qu'elle vivait depuis maintenant près de deux ans. Que restait-il de l'adolescente d'Adarlon penchée sur un muret de pierres récupérant des fruits en riant ? Ou bien de celle qui arpentait avec une si vive satisfaction les moindres recoins de la foret? Tout avait volé en éclat. Tout avait sombré dans un chaos dont elle n'avait même pas eu conscience, entraînée par les événements. Elle avait rejeté tout sentiment comme des faiblesses, durci un peu plus son c?ur et son regard, et s'était drapée de son ironie comme d'une carapace. L'enfant sauvage peu à peu apprivoisée, domptée par Gaïlon était ressortie, plus violente d'être meurtrie, encline à tous les excès, guidée uniquement par son instinct. Quand elle ramenait sa pensée dans le passé, au delà de ces deux années d'exil et d'errance, il lui semblait qu'elle voyait une étrangère, qu'elle aurait définitivement laissée sur Adarlon, la partie d'elle accessible aux sentiments, à la compassion, son âme en quelque sorte. « Mais pour survivre ici, et accomplir mon destin, il faut se dépouiller de tout cela ». Et elle cherchait indistinctement ce qui l'avait conduite ici. Tout se brouillait. Elle savait juste que Gaïlon était mort, brusquement? Il était parti pendant son sommeil, la nuit, après une crise plus effarante que les autres, et n'était pas réapparu. Elle avait attendu, habituée à ses brusques départs, écoutant pourtant le silence se refermant sur elle de manière inquiétante, comme si quelque chose en elle la prévenait qu'il ne serait jamais plus troublé de la même façon. Puis cet homme qu'elle abhorrait plus que tout, ce Jardenn qui la traitait avec tant de mépris, était venu un matin la trouver, et avait jeté sur la table un sabre de phrik encore taché de sang séché, d'un geste désinvolte, sans rien dire. Syëhl avait senti le sol se dérober sous elle en reconnaissant le pommeau ouvragé, et elle avait du faire appel à toute sa volonté pour ne pas montrer sa défaillance sous le regard vivement narquois qui la scrutait. Mort ! Cela ne pouvait signifier que ça ? Sans pouvoir s'empêcher de pâlir terriblement, elle avait fermé un instant les yeux pour demander d'une voix éteinte : - « Où ? » Mais il avait balayé d'un revers de manche sa question, reprenant seul devant elle sa suffisance hautaine, assuré désormais de pouvoir la traiter en subalterne sans craindre les remontrances de Gaïlon. Cette certitude qu'elle lisait sur son visage l'avait poignardée d'une pointe aiguë de désespoir, au milieu de sa douleur, dans la sensation cruelle d'abandon qu'il lui léguait. Elle avait écouté la suite comme dans un cauchemar, incapable de peser les paroles qu'il lui disait, se contentant d'acquiescer toujours, avec l'unique but de faire sortir le plus vite possible cet homme d'ici, pour pouvoir rester seule avec sa douleur, puis peu à peu sans pensée du tout. Jardenn jubilait. Enfin il écrasait cette arrogance dont il avait été bafoué. S'il avait pu ressentir ce genre de sentiment, elle lui aurait presque fait pitié, à tenter misérablement de cacher sa tristesse dans un vain effort. Malgré son mépris pour elle, quelle force de caractère il devait lui reconnaître, frappée de la disparition du seul être auquel elle tint vraiment ! Exécutant les ordres avec d'autant plus de zèle qu'il pouvait ainsi fouler aux pieds sa douleur, il exploita comme convenu le désespoir qu'il sentait en elle, ne tarissant pas de paroles, détaillant le mensonge du meurtre par les jedi, dans d'horribles souffrances et l'ignominie la plus totale. Il la sentait frémir d'indignation et de haine, touchante presque de rage, oubliant la nature de son mentor, et les atrocités que lui-même avait perpétuées si souvent. L'idée de lui faire croire à sa mort était vraiment un coup de génie. C'était Jardenn qui l'avait suggérée à Gaïlon. De cette façon, la haine des jedi qu'il avait patiemment insufflée à cette enfant en serait décuplée, et cette épreuve servirait de baptême du feu à Syëhl. Peut-être inconsciemment y avait-il aussi de la part de Gaïlon le désir de s'éloigner de celle qui jusqu'ici avait presque trop compté, la peur de faiblir en la gardant avec lui. Cet acte les souderait à jamais, en l'initiant à ce qu'elle n'avait encore fait qu'entrevoir, et , il l'espérait, briserait ce pouvoir qu'elle avait sur lui de ranimer sa conscience. Elle serait à lui dans le mal, puisqu'il ne pouvait concevoir de la suivre dans la lumière. Leur lien serraient scellés dans le sang, pour que plus personne ne puisse les rompre. Jardenn, sans rien en souffler, espérait quand à lui un échec qui les délivrerait de cette enfant trop envahissante. Et si au pire elle réussissait, rien ne l'empêchait de mettre un terme à cette existence en accusant les jedi? Il répéta mot pour mot ce qu'il savait devoir lui dire pour la manipuler, exposa le plan arrêté comme étant les dernières volontés de Gaïlon à son égard, la mission pour laquelle il l'avait préparée et qu'elle se devait maintenant d'accomplir, et l'amena progressivement à ce qu'il désirait. Sans vraiment comprendre ce qu'on attendait d'elle, elle accepta d'entrer en tant que padawan dans l'enceinte du temple jedi, d'espionner puis d'extorquer des renseignements, avant de tuer le maximum de monde et de rejoindre un lieu de rendez-vous qu'il lui fixerait ultérieurement. Saoulée de paroles vengeresses, dans un état d'épuisement moral le plus total, elle ne prit même pas le temps de faire ses bagages ou de dire adieu à Tomassh et monta dans le vaisseau de Jardenn malgré son aversion, où elle s'effondra vaincue de chagrin, dans un sommeil enfiévré. De tout cela, elle ne retenait qu'une chose, assourdissante, résonnant comme un cri de guerre : Gaïlon était mort, assassiné par des mains jedi, et ils paieraient pour cela? Puis il l'avait déposée à quelque distance du temple, pour ne pas attirer l'attention, et était reparti. Laissée enfin seule face à elle même pour la première fois depuis de longues heures, elle avait regardé un moment les hauts remparts de l'académie, avec un brusque mouvement de panique. Quelque chose en elle reculait devant l'acte. Au travers de sa haine, la torturant pourtant, elle avait entrevu l'horreur de ce qu'elle venait accomplir ici. Elle avait eu beau se maudire, tenter de ranimer sa soif de vengeance en se remémorant les détails sanglants dont Jardenn l'avait abreuvée quelques heures plus tôt, la seule image qui revenait était cette lame rouge s'enfonçant dans le cou d'une inconnue, entrevue à douze ans dans ses visions, et la terreur que cela lui avait inspiré. Elle aussi devrait faire cela?Elle fut vingt fois sur le point de frapper aux portes de l'académie, mais vingt fois retint son bras. Alors désespérée, elle s'était fondue dans l'ombre qui entourait les murs de l'enceinte, et avait disparu. Peu après, elle montait de manière illicite dans un vaisseau dont elle ne connaissait même pas le but, comprenant la nécessité de fuir ce lieu où elle n'avait pu accomplir la mission fixée? Et elle errait depuis, vivant de vols et de rapines, se terrant dans les bas fonds des villes, là où chaque geste, chaque bataille se résume à un seul but directeur : gagner et survivre, ou perdre et accepter de mourir. Elle ne voulait pas mourir. Elle avait quelque chose à finir avant. Elle attendait simplement d'être plus forte, de tuer la dernière parcelle de pitié en elle pour retourner terminer sa vengeance. Alors elle survivait, de planète en planète, de voyages clandestins en passages payés par de l'argent volé. Elle ne savait seulement pas où elle allait, vers quels mondes l'emmenaient les vaisseaux dans lesquels elle se cachait. Elle restait le temps qu'elle pouvait dans un endroit, soutenue par sa force nerveuse qui éclatait parfois brusquement en crises desquelles elle ressortait brisée, puis partait, quand les choses pour elle semblaient se gâter. Et ce soir son périple l'avait de nouveau ramenée à New Coruscant. Son point de départ. De la rue où elle avançait maintenant, elle apercevait dans le lointain le temple. Elle n'aurait pu dire pourquoi cette vue lui semblait différente aujourd'hui. Mais l'homme qui, depuis le début de la soirée la suivait, visage caché, et qu'elle n'avait pas vu, perdue dans ses pensées, lui, savait, et il se retirait avec un sourire sarcastique dans l'ombre d'une ruelle adjacente.
piege expérimental
Le métal du poignard encore souillé de sang tinta désagréablement en entrant au contact de la table où Syëhl le déposa. Celle-ci, lasse, s'appuya contre un mur d'une couleur hésitant entre le jaune sale délavé et le grisâtre usé, fit du regard le tour de la chambre qu'elle venait de payer pour la nuit avec l'argent dérobé. L'espace n'avait rien de luxueux, et Syëhl sourit un instant de l'euphémisme. On était même très loin du « convenable ». Les angles des murs, la table minuscule, la chaise bancale qui encombraient l'endroit semblaient comme patinés d'une crasse amalgamée repoussante, reliquat jamais nettoyé des multiples clients antécédents. Par contraste, le lit avec ses draps plus clairs faisait presque illusion, d'un blanc indéterminé. Le bourdonnement continu d'un régulateur thermique vétuste emplissait l'étroit local d'une sourdine de bête blessée. Mais Syëhl n'y accorda que peu d'importance. Si sa vie n'avait jamais été luxueuse, elle avait été aisée du moins, sans souci matériel du lendemain, à une époque? Mais tout cela flottait dans un passé incertain, comme détaché d'elle désormais.
« Au moins pour ce soir j'ai un toit »? Un toit, et un endroit où se cacher. Où attendre que sa faiblesse passe. Encore. Elle le sentait à ses sens exacerbés, comme à vifs, écorchés par le son plaintif du vieil appareil de climatisation, à ce dégoût aussi, provoqué, rappelé par l'homme dans la ruelle, qui remontait lentement du fond de son inconscient et lui imprégnait la bouche : elle ne pourrait rien y faire. Combien de fois déjà, ce combat ? Combien de fois encore à venir ? De plus en plus fréquemment, et soudainement. La douleur, la peur, et surtout? la vulnérabilité impardonnable qu'elle ressentait dans ces moments là. C'était insupportable. Le reste du temps, elle ne craignait personne. Son apparence fragile était trompeuse, elle maîtrisait maintenant de nombreuses techniques de combat, et son exil de deux ans avait aiguisé ses capacités , son instinct, son agilité. Elle connaissait l'unique Loi, celle qui perdurait sous tous les pouvoirs en place, derrière l'écran des bienséances que l'on maintenait tant bien que mal pour sauver les apparences : tous les jours se surpasser, ou être surpassée. Et disparaître. Or elle ne pouvait pas se le permettre. Pas encore. Et pourtant? Seule restait cette faille? cette faiblesse qui la rongeait de l'intérieur, et contre laquelle elle était impuissante . Il lui était arrivé de n'avoir que le temps de se glisser dans quelque trou d'ombre avant d'y succomber. Fermant les yeux, elle tenta vainement de réguler sa respiration qui se saccadait de plus en plus, indépendamment de sa volonté. S'endormir? à tout jamais. Laisser derrière soit cette existence qui aurait du finir dans les flammes. Terminer sa vengeance, puis se laisser aller, enfin? à jamais? Elle porta les mains à sa tête d'un geste douloureux. « Taisez vous ! » Inconsciemment, ses doigts se crispaient, ses ongles s'enfonçaient un peu dans ses tempes. « TAISEZ VOUS ! ! » Mais? ces voix avaient raison. Le fait même qu'elle vive encore était une erreur. Une erreur dans le destin, Le cours d'une existence violée par la force d'un homme, auquel elle s'était vouée. Tout lui criait qu'elle n'avait rien à faire ici, que l'air qu'elle respirait revenait de droit à d'autres, qu'elle usurpait sa place. Frappant violemment du poing contre le mur, elle sentit celui-ci se craqueler légèrement et regarda sa main blanche de plâtra, puis la surface délabrée dont le choc avait arraché de petits fragments. En finir? Le tintement glauque du poignard lui revient en tête. Pourquoi pas ? Puisqu'elle n'arrivait pas à être assez forte pour les tuer? Ca ne devait pas être si dur. Le dernier geste de violence, juste sous le sein, à gauche? Puis l'éternité après, pour oublier tout? S'appuyant d'une main sur le rebord de la table, elle saisit de l'autre le manche mat, l'examina un instant. Une hésitation apparut sur son visage, puis un rictus de colère. Pivotant sur ses talons elle lança de toutes les forces qu'il lui restait le poignard dans le vieux moteur dont le vacarme l'assourdissait. La lame transperça la mince carapace, et resta enfoncée dans les circuits de l'appareil, qui cessa de fonctionner dans un dernier soupir métallique, parcouru d'éclairs électriques. Même abréger cette mascarade, elle n'en était pas capable. Elle croyait pourtant que sans son but de vengeance, la vie ne lui tenait plus à c?ur? Quel était ce sentiment d'abord timide, mais qui s'affirmait ce soir, sans qu'elle ne l'ai vu grandir ? Qu'avait-elle donc à regretter de ce monde sordide où elle évoluait ? Qu'entrevoyait-elle dans ce chaos qui vaille la peine de s'accrocher ? Rien? Alors pourquoi se prenait-elle maintenant à rêver d'autre chose, de quelque chose d'indistinct, d'un chemin différent ? Et lequel ? Il n'y en avait qu'un, celui de la loi du plus fort. Ceux qui prêchaient autre chose ne faisaient que masquer leurs propres actions pour mieux fouler aux pieds les autres? Rien? Et pourtant, lui revenaient des petits riens, des minutes oubliées, rejetées pour tuer, pour étouffer son c?ur... C'était un sourire doux et craintif aperçu sans s'y arrêter? C'était un geste, un jour, au beau milieu d'une rue, un étourdissement qu'elle n'avait pu cacher, des mains larges et chaudes qui l'avaient rattrapée aux épaules, un regard profond, comme une eau calme et sereine qui l'avait transpercée d'un doute, un instant. Mais ses yeux s'étaient abaissés et elle avait avec un haut le c?ur distingué un sabre à la ceinture de l'homme. Un jedi ! Un de ceux qu'elle s'était jurée de faire souffrir? D'un geste violent elle s'était dégagée et avait filé, sans un mot, suivie des yeux un moment par l'homme perplexe, gardant au fond de lui de cette rencontre une pitié immense pour les déchirements entrevus en elle, inexplicables dans cette existence encore si jeune. Elle avait conservé de ce contact une sensation de chaleur aux épaules qu'elle avait attribuée à sa colère d'avoir été aux mains d'un tel homme, sans se douter un instant qu'il lui avait transmis de la Force pour l'aider à vaincre son malaise, durant le peu de temps où il l'avait tenue. Une douleur plus violente lui vrilla les tempes. Elle s'affaissa dans un gémissement, aveuglée de souffrance, tendit les mains vers l'avant en se rappelant vaguement la position de la chaise dans l'espace. Avait-elle seulement verrouillé la porte derrière elle ? Mais le sol se déroba sous ses pieds, sa tête heurta violemment le carrelage dans un grand fracas de chaise renversée, le froid de ce contact assourdissant l'envahit. Où avait-elle déjà ressenti un tel froid ? Son esprit rétif se refusait à lui donner une réponse claire, remontait de manière désordonnée les événements des derniers mois. Une lumière aveuglante dans une pièce glacée? Mais où ? Et quand ? Et des pas qui résonnent? dans le passé? ou dans la chambre ? Ouvrant difficilement les yeux, elle entrevit confusément une silhouette noire détachée sur le fond clair de la porte ouverte, qui s'avançait vers elle. Etait-ce maintenant? ou ailleurs, avant ? Mais une main glacée sembla tout d'un coup serrer son c?ur dans un étau, et tout s'évanouit dans l'étendue chaotique où elle sombrait. Elle ne sentit pas qu'on s'agenouillait près d'elle, ni les bras puissants qui la soulevaient de terre pour la poser avec rudesse sur le lit, tremblante. Son esprit remontait le temps, vers des événements antérieurs, vers ce froid qui l'avait saisie, déjà, quelques mois avant? [Deux mois auparavant...] Elle mit quelques secondes à rassembler ses esprits, et à comprendre qu'elle n'était plus dans le bar où elle se trouvait avant?Un halo de lumière éclatant se réverbérant sur les meubles chromés aux arêtes vives l'aveuglait et l'empêchait de distinguer les traits de celui qui se trouvait devant elle. Elle voulut se lever, mais ses poignets étaient entravés d'épaisses menottes de métal glacé, reliées au mur d'une chaîne, trop courte pour se tenir debout. Dans un vertige, elle entrevit le piège où elle était tombée, le danger indistinct dont elle n'arrivait pas à cerner les contours. D'ailleurs tout se brouillait devant ses yeux, et la nausée la prenait, de s'être levée trop vite. Elle retomba à genoux dans un cliquetis d'acier, grelottante. Ce réveil ne ressemblait pas aux autres, et le brouillard qui rendait difficile tout raisonnement suivi n'était pas habituel ? « Pas naturel? » Elle ne se souvenait pas non plus d'avoir senti la crise arriver, comme les autres fois? Une solution s'imposait à son esprit sans pouvoir encore comprendre comment elle en arrivait à cette conclusion : « On m'a droguée? Mais qui ? Et pourquoi ?» - Stupéfiant? Syëhl releva difficilement la tête vers la voix. L'homme était toujours devant elle et semblait la considérer d'un air perplexe et vaguement admiratif. - Ta résistance aux anesthésiants est tout à fait hors normes? Avec ce que je t'ai administré, tu aurais du dormir des jours? et ça fait à peine trois heures ! « Trois heures?. » pensa-t-elle. « Que s'est-il passé pendant tout ce temps ? Et ?» Se penchant vers elle, il lui releva le menton d'une baguette et braquant une source lumineuse vers son visage, examina un instant les pupilles dilatées et troubles. Syëhl se rejeta en arrière et ferma les yeux dans une grimace. Elle n'arrivait pas à supporter cet éclairage trop intense. Mais pourquoi l'homme ne semblait-il pas incommodé ? Détournant la tête, elle resta un instant sans plus bouger, les lèvres entrouvertes tremblant légèrement. L'homme soupira et prit quelques notes. - Par contre tu ne sembles pas au mieux de ta forme, ce qui est parfaitement normal?Mais ne t'inquiète pas? Sur les autres sujets, ces problèmes s'espaçaient avec le temps? Et vu ta force? Ca devrait vite s'améliorer? « Les autres sujets ? Quels sujets ? » Ne pas bouger un moment lui avait permis de réduire un peu le vertige, et ses idées embrumées s'éclaircissaient progressivement. Elle se souvenait vaguement? La bousculade dans la rue? Une sensation fugitive de brûlure au bras. Puis plus rien? Le trou noir. C'était comme ça qu'il l'avait droguée? Mais pourquoi ? Et où l'avait-il emmenée ? Etait-ce seulement le même homme ? Syëhl avala difficilement sa salive. La soif était intolérable. Sans doute un des effets secondaires du sédatif, tout comme le froid et la gène oculaire. Mais il y avait plus important? Il fallait sortir d'ici au plus tôt? Cet homme ne lui disait rien, la manière dont il l'avait enlevée prouvait bien d'ailleurs son absence totale de scrupule. Elle observa un instant la pièce, plus habituée à la luminosité déjà. Un laboratoire? Un sujet d'expérience ! La découverte lui fit ouvrir plus grand les yeux de saisissement. « Cet individu kidnappe des gens dans la rue pour en faire des cobayes ! Mais comment n'a-t-il pas été découvert ? Il n'y a jamais de plaintes des familles des disparus ? A moins que? Il doit observer et choisir des personnes seules? » Au milieu de ses réflexions, la voix de l'homme se faisait plus pressante. - Que ressens-tu ? La lumière te gène ? Oui, visiblement? le même symptôme que sur les autres? Ce qui semble plus étrange, c'est ce tremblement? Tu as froid ? Oui, elle avait froid, de l'intérieur. Elle se rendait progressivement compte que si l'homme ne semblait pas en souffrir, c'était justement parce qu'il n'y avait quelle qui pouvait le sentir. Précisément parce que ce froid venait d'elle-même, parcourant ses muscles tétanisés, et chacune de ses cellules. Mais l'explication de ces phénomènes devenait brusquement secondaire : cet homme était fou, et elle était à sa merci? Passant outre son malaise, Syëhl s'élança brusquement en avant d'un effort violent de ses muscles, et tenta de bousculer l'homme, mais la même entrave de métal la rabattit à terre, emportée par son élan brisé. D'un mouvement rageur, elle tira d'un coup sec sur les chaînes qui tintèrent mais ne cédèrent pas d'un pouce. - Qu'est ce que vous m'avez fait ? L'homme s'était simplement écarté légèrement, surpris de la vitalité de la jeune femme d'abord, puis observant son manège furieux d'un regard amusé. - A peine réveillée et déjà des questions ? Mais j'aimerai tout d'abord que tu répondes aux miennes. Tu es encore plus intéressante que je ne le croyais? Les autres n'ont pas résisté plus de deux jours? Mais peut-être qu'avec toi, je pourrai terminer mes recherches, qui sait? « Deux jours ! » Elle jeta encore un regard aux menottes, puis reposa un regard rageur d'impuissance sur l'homme. - Oh ! ne t'inquiète pas, ces chaînes sont à toutes épreuves? Il s'abaissa vers elle et lui saisit le menton d'un geste ferme, puis, d'une voix plus grave : - Tu ne me fausseras pas compagnie aussi facilement?
expérimentations subconscientes
Un pesant silence régnait dans la pièce assez vaste et presque dénuée de tout mobilier, hors un lit fait de deux planches jointes et d'un drap de tissus grossier, qui servait au scientifique de cellule pour ses sujets. Aucun souffle de vie n'animait les lieux, comme déserts, et il fallait les parcourir du regard plus attentivement pour enfin remarquer une forme humaine tournant le dos à la seule issue, toute de noir vêtue, et allongée à même le sol, inerte. Une jeune femme, visiblement très affaiblie. Peut-être inanimée. Le regard apitoyé hésitait même au premier abord à distinguer l'infime mouvement dû à la respiration, dans ce corps frêle posé la négligemment, comme jeté là au hasard d'une main invisible et capricieuse.
Syëhl, les paupières fermées, gisait à terre, recroquevillée un peu sur elle-même. Cela faisait des jours maintenant qu'elle était là. Trois ? Dix ? Plus ? Elle n'aurait pu le dire. Aucun repère ne se distinguait dans ce bâtiment encaissé, où ne filtrait nulle part la lumière naturelle. La notion d'espace ou de temps s'était effacée, et peu lui importait en fait de savoir. Ce qu'il lui restait d'instinct en éveil s'était concentré sur la dernière sensation encore présente en elle, celle d'exister, encore un peu, infiniment. Mais même cette sensation était devenue douloureuse. Un froid immense s'installait en elle, remontait de ses mains dans ses bras, semblait irradier de sa poitrine que soulevait difficilement la respiration réduite à un souffle. Les heures défilaient comme des siècles, rythmées seulement par les expériences qu'elle subissait, et les rares nourritures infâmes qu'un inconnu lui glissait de temps en temps à travers une meurtrière dans la porte. Elle avait bien essayé de se rebeller au début, de fuir? Mais ses tentatives n'avaient pas abouti. Elle ne savait pas où elle était, le bâtiment était truffé de caméras, elle avait très vite été retrouvée. Et le temps jouait contre elle : chacune des expérimentations hasardeuses la laissait plus brisée dans sa prison. Le désespoir parfois la prenait, une inertie contre laquelle elle ne se défendait que difficilement : ah quoi bon ? Dans peu de temps, elle ne souffrirait plus. Dans peu de temps, elle serait morte, de toute façon. Un déclic électronique, puis le grincement d'un sas mécanique qui coulisse lui fit ouvrir les yeux. Deux hommes entrèrent, dont l'un lui agrippa les bras assez rudement, la fit s'asseoir, puis la maintint ainsi, comme elle glissait sur le coté, privée de force. L'autre restait immobile, à l'observer. Dans sa main, brillait un petit objet rond et plat, hormis deux fines aiguilles sous la surface extérieure, une sorte de disque cerclé de sillons concentriques, terminé au centre par une sphère plus proéminente, de couleur bleu sombre, mat. Inhibiteur Neuronal. Temps latent de prétransmission subconsciente variable selon les sujets testés, de quelques nano-secondes à quelques secondes. Séquençage des flux à induction cyclique. Ces termes, Syëhl les avait entendus pour la première fois quelques jours avant, comme le scientifique discutait. Elle n'avait pas compris tout de suite la nature des expériences? maintenant, elle savait? L'homme debout s'agenouilla près d'elle, l'examina un instant. A bout de ressource. Vingt jours, c'était déjà en soit surprenant. Celui qui maintenait Syëhl fermement par les épaules risqua une observation : - O'Tran, il faut attendre et la nourrir? A ce rythme là, elle ne tiendra plus longtemps? Peut-être même cette tentative lui sera-t-elle fatale? Le scientifique balaya d'un revers de main l'objection de son aide. Oui? Elle était très faible? Mais à qui la faute ? Il avait fallu la droguer sans interruption, pour réduire un peu ses velléités de fugue. Et il restait dans ses réflexions cette admiration indéfinie qu'il avait ressentie lors de son arrivée. Sa capacité de résistance aux toxines était hors normes, aucune d'entre elles n'avait l'effet escompté, les doses devaient régulièrement être renouvelées, au risque de laisser des séquelles ineffaçables dans cet organisme. Des analyses sanguines poussées avaient révélé une partie du mystère : cette jeune femme, qui baissait maintenant des paupières diaphanes sur ses yeux d'un violet intense, la tête renversée en arrière et très pale, possédait dans son sang un taux bien plus élevé de midichloriens que la moyenne. Cette découverte l'avait un instant alarmé. Une jedi ? Ceux de cette organisation prétendument détentrice de la sagesse n'agissaient ou ne vivaient en général pas seuls. Y avait-il un danger ? Serait-elle recherchée par les siens ? Mais non? Elle ne semblait faire la démonstration d'aucune des aptitudes inhérentes aux jedi entraînés, et de plus, ne portait aucun sabre sur elle au moment du kidnapping. Alors elle n'en avait que le potentiel? Pas repérée par ses semblables, une aubaine pour lui ! Mais l'aide inconsciente de ce qu'ils appelaient Force, et qui semblait se manifester chez elle par cette résistance acharnée, n'expliquait pas tout. Le sang froid dont elle avait fait preuve évoquait tout autant un esprit fort qu'une quelconque particularité physique. L'un aidait l'autre chez cette créature étonnante dont l'apparente fragilité cachait une volonté de fer. D'ailleurs, depuis les premières questions jetées dans son étonnement furieux, elle n'avait plus parlé une seule fois, au point qu'il l'aurait crue muette de peur s'il n'avait pas senti son regard méprisant sur lui. Un sourire passa sur ses lèvres. Ce regard au moins, il l'avait dompté, si elle n'avait pas encore livré tous ses secrets. Certes, il n'avait pas changé, mais il était le plus souvent caché sous ces paupières frissonnantes, dans l'accablement qu'elle ressentait. Il passa un instant la main sur le visage frémissant. Dans un effort, Syëhl détourna la tête, pour éviter le contact. Une courte lueur brilla dans les yeux d'O'Tran, qui serra les lèvres. Sa main retomba. Oui. Le risque était là? mais il ne s'arrêterait pas. Pas si près du but. Bientôt grâce à elle, il aurait perfectionné ses connaissances. Comprendre enfin l'inconscient et ses réactions, jusqu'à les rendre prévisibles, et mieux, les provoquer à volonté. C'était l'impunité totale, la certitude de pouvoir manipuler tout être vivant, même ces jedi?Mais pour cela, il fallait le tester, le confronter à tout ce qui le composait, les sentiments, les peurs surtout, placer la personne dans une situation extrême d'où l'unique but de cette essence serait la survie, pour enregistrer les différentes réactions entrevues. Là, la technologie virtuelle entrait en jeu, créait les conditions adéquates? Bien sûr, cela n'était pas sans danger pour le sujet. Manipuler ainsi l'esprit provoquait des surcharges émotives très intenses, d'autant plus que dans cet état second, aucune des barrières psychiques naturelles à l'être conscient ne jouait, inhibées elles aussi. La plupart des tentatives avait chez les autres amené au mieux la folie, cas très intéressant en soi d'ailleurs à étudier, au pire, la mort? O'Tran fit signe à son assistant de la transporter dans la salle adjacente, puis y pénétra lui-même pour régler les paramètres d'encodage spiriques. Soupirant légèrement, l'homme une fois seul passa un bras dans le dos de Syëhl, l'autre sous ses genoux, et souleva sans difficulté le corps que presque toute vie semblait près d'abandonner? Un regard apitoyé s'attarda sur son fardeau. Elle avait l'air presque enfant, abandonnée ainsi, écrasée de fatigue, légère comme un oiseau frêle. Mais un bruit de machines mises sous tension lui fit relever la tête, et passant la porte, il la déposa chancelante sur un siège, et lui passa sans difficulté les sangles aux mains et aux pieds, pour l'immobiliser pendant le test. Syëhl n'avait même pas tenté de se dégager. La demie somnolence où la maintenait une perpétuelle dose d'anesthésiant, même si elle n'était pas assez tenace pour lui faire perdre toute notion, inhibait fortement les dernières forces dont elle aurait pu disposer. Sa volonté, au début tournée vers l'évasion, ne se tendait aujourd'hui plus que pour résister à l'emprise des narcotiques et autres drogues, dont elle sentait sans analyser la nécessité. Tenir, tenir jusqu'à trouver comment s'enfuir de cet enfer. Mais y aurait-il seulement une occasion ? Avant qu'il ne la tue? avant? Une douleur vive à la tempe droite lui fit se redresser dans un sursaut et ouvrir les yeux, juste à temps pour voir les murs de la pièce danser puis se fragmenter en un tourbillon de couleurs chamarrées. Non? Non ! Elle sentit une eau tiède lui lécher un instant les pieds, se retirer? Devant ses yeux agrandis défilait une onde bleutée, sur un rivage inconnu. La mer? Syëhl se cambra en serrant les poings, dans le fauteuil. Les bandes de cuirs à ses poignets se raidirent sous la traction nerveuse qu'elle y exerçait. Non ! C'était encore une illusion causée par? - Mais où trouve-t-elle une telle énergie ? O'Tran abaissa lentement une manette sur la console, regarda la sphère centrale s'éclaircir, au fur et à mesure que la puissance du transmetteur neuronal augmentait?L'impression caressante revint, irrésistiblement réelle. Syëhl pencha la tête et regarda un instant l'eau transparente passer entre ses pieds, puis se retirer en volutes écumeuses? causée par? De quoi cherchait-elle la cause déjà ? Dans la salle éclairée de lumière blanche, les muscles de la jeune femme se détendaient progressivement. Elle ne savait plus. Elle laissa la brise légère et chaude jouer dans ses cheveux, passer sur ses bras entravés. Entravés ? Levant les mains devant ses yeux, elle fut surprise sans savoir pourquoi de cette liberté. N'avait-elle pas toujours été libre ? Pourquoi se poser tant de questions inutiles ? A peine un léger trouble encore, la sensation d'un oubli, quelque part? S'accroupissant, elle saisit une poignée de sable brûlant qui fila entre ses doigts. ?Une dernière augmentation infime de l'inhibition subconsciente? Sans importance? S'avançant un peu dans l'onde d'une tiédeur agréable, Syëhl plongea, avec délice. Au même instant, un visage pale aux longs cheveux noirs s'inclina sur le coté, abandonné, soumis enfin au flux de la pierre maintenant translucide à sa tempe. Syëhl de nouveau, sans possibilité de réplique, abdiqua sa volonté dans cet environnement virtuel. Quelques secondes encore, l'eau sembla la porter dans un bercement sans fin, le temps de noyer dans ce mouvement apaisant toute trace du monde réel. Un engourdissement merveilleux se faisait en elle, aucune pensée extérieure ne troublait plus la paix de ce paysage. Dès lors, le test pouvait commencer. O'Tran entra divers codes dans la console, affina quelques réglages. L'eau dans laquelle elle se trouvait parut peu à peu s'agiter, s'animer d'une volonté propre, et remonter lentement autours d'elle. D'abord, elle ne songea qu'a tranquillement rejoindre le rivage, duquel elle avait du trop s'éloigner. Mais une série d'ordres furent envoyés à l'émetteur, et l'eau se mit soudainement à l'enserrer comme un étau, de plus en plus fort, de plus en plus haut. La respiration de la jeune femme s'accéléra sur le fauteuil. Un sentiment de panique succéda au calme artificiel qu'avait instauré le disque de métal à sa tempe, et la submergea au moment précis où elle se sentit précipitée sous l'onde, privée d'oxygène. Tout se bousculait en elle. Elle raidit ses muscles, d'instinct prête au combat. Au combat ? Mais elle n'avait jamais combattu, elle avait toujours été ici? Il lui semblait pourtant qu'elle avait fait face à d'autres dangers? Mais quand ? Où ?? Plus tard les questions? d'abord survivre? trouver comment? réagir? Mais que faire face à un phénomène si peu naturel ? La terreur s'insinuait jusque dans ses muscles, tétanisés. Elle ne savait plus, ne comprenait plus. Plus elle se débattait, et plus l'étau se resserrait. L'air lui manquait. Sa vision se troubla, s'obscurcit. Crier ? Mais sous l'eau, qui l'entendrait ? A bout de souffle, elle ouvrir la bouche et l'eau glacée maintenant envahit sa gorge, ses poumons? Sur l'ordinateur, une alarme retentit. L'assistant dont le regard suivait chaque seconde l'évolution des relevés des fonctions vitales et cardiaques envoyées par l'émetteur, poussa un juron et se retourna vers le scientifique. - Coupez tout ! Les capteurs s'affolent, elle va y passer ! Les deux mains appuyées sur une console de commandes, O'Tran fixa Syëhl se débattant furieusement sur le siège, et sembla hésiter, sourd aux bips accélérés du relevé cardiaque comme aux paroles de son aide. Tapant du poing, l'autre repris en la montrant du doigt : - Si elle meurt virtuellement, elle meurt ici aussi ! A ce moment précis, les bips cadencés follement firent place à un son ininterrompu, et le corps de Syëhl s'affaissa brusquement en avant, immobile dans un relâchement musculaire total. L'associé serra les poings et se précipita vers ses instruments médicaux pendant qu'O'Tran rabaissait brusquement d'un geste rageur la manette de contrôle. La pierre redevint d'un bleu opaque et sombre. - Tentez de la ranimer, et prévenez moi ! lâcha-t-il dans un rictus énervé, avant de quitter la salle. L'assistant était déjà près d'elle et, agenouillé, sans l'avoir détachée, tentait de faire repartir le c?ur à l'aide d'impulsions électriques de plus en plus fortes. - Aller? aller ! A la troisième tentative, après deux essais infructueux, le capteur grésilla puis recommença à retransmettre une série de bips réguliers. Sur les joues de la jeune femme, la vie revenait timidement, mais sûrement? L'homme soupira, posa son front sur l'accoudoir du fauteuil, écoutant la cadence rassurante. Puis il détacha les poignets et les chevilles du fauteuil, et la souleva dans ses bras pour la ramener dans la cellule, où il la déposa doucement sur le lit de fortune, avant de rejoindre O'Tran.
ephémère victoire
La porte automatique s'ouvrit et un corps, jeté par deux hommes avec une brutalité révoltante, roula sur le sol de la cellule tandis que la fermeture informatique sécurisée se ré-enclenchait dans un déclic. Dans le silence pesant qui se fit, celui-ci resta immobile un moment, comme mort, puis, lentement, douloureusement, il s'anima : la jeune femme s'appuya sur ses bras tremblants et tenta de se redresser. Le long de son épaule, une large estafilade rouge apparaissait progressivement sur la peau blanche, témoin vivant du contact rude avec le sol. A la base de la gorge soulevée d'un souffle saccadé, dans le cou, puis sur la joue droite, le regard suivait en remontant un filet écarlate dont il découvrait l'origine dans une blessure à la tempe, deux points assez peu écartés, d'où le sang perlait abondamment. Passant sa main dans ses cheveux pour se dégager le visage, Syëhl la retira humide, et resta un peu les pupilles fixées sur ces doigts tachés de rouge, puis serra le poing d'un geste rageur. A quoi lui servait cette victoire si ces murs l'empêchaient toujours de fuir ? Ses jambes la portaient à peine, et elle n'avait pas réussi à trouver un moyen de savoir où elle était, encore moins de s'enfuir. Au fur et à mesure que sa faiblesse s'accentuait, le froid dont elle avait souffert dès le départ devenait de moins en moins supportable. Frigorifiée, elle se traîna dans un coin de la salle d'où l'on ne pouvait la voir de la porte, puis ramenant ses genoux dans ses bras, grelottante et à bout de force, elle posa sa tête contre le mur et ferma les yeux. La douleur qui lui vrillait la tempe droite et irradiait son front était encore affreusement présente, mais cette sensation même, Syëhl ne la percevait plus que nerveusement, dans la demie inconscience où la laissaient ses forces déclinant dangereusement. Un sourire passa pourtant sur ses lèvres, au souvenir du visage ébahi puis furieux d'O'Tran, quelques minutes plus tôt ?
Une demie heure avant, deux des assistants du scientifique était venus, une nouvelle fois, la chercher dans sa cellule pour l'amener en salle d'expérimentation. la dernière tentative avait porté un tel coup psychique à la jeune femme que le c?ur, un moment, avait flanché et il avait fallu toute l'insistance de l'aide principal d'O'Tran pour le faire repartir, puis se stabiliser de nouveau? Cela lui avait valu quelques jours de répit, pendant lesquels elle était restée allongée dans sa cellule, sans conscience précise de la seule présence qui, d'heure en heure, passait pour vérifier son état général. La première sensation plus nette qui l'avait ramenée à la réalité avait été l'étonnement de sentir la douceur avec laquelle son bras était manipulé. Ouvrant les yeux, elle avait vu penché sur elle l'assistant d'O'Tran, cet homme chétif et effacé qui avait pourtant à plusieurs reprises insisté pour que le savant interrompe les tests, devant sa faiblesse. Il était en train de lui faire une prise de sang, et la première réaction avait été de retirer son bras violemment. Mais tout son corps gardait un engourdissement presque invincible. Et puis à quoi bon ? Elle n'avait pas la force de se lever, encore moins de marcher. Se rebeller ne servirait qu'à la blesser davantage. Elle avait donc laissé le jeune homme ressaisir sans agressivité le bras, et plusieurs jours encore s'écoulèrent dans le soulagement instinctif de se laisser aller à se reposer, sans expérimentation. Et ce jour là, alors que Syëhl avait peu à peu reprit des forces, et avec elles, ses projets d'évasion, deux hommes, différents de celui qui venait d'habitude la voir, étaient entrés dans la cellule. Palissante, elle s'était levée vivement et avait reculé vers le fond de la salle, en cherchant des yeux une échappatoire? tout , plutôt que de revivre ces tortures?Mais ses jambes encore faibles s'étaient dérobées sous elle, et elle n'avait pu éviter les deux mains brusques posées sur ses épaules, ni la brûlure, quelques instants plus tard dans le laboratoire, des deux aiguilles à sa tempe, et le froid du disque de métal. Brusquement lachée par les poignes de fer qui la maintenaient auparavant, elle avait poussé un faible cri en sentant l'inhibiteur neuronal s'insinuer une fois de plus dans son esprit et paralyser ses pensées. Tout se brouillait de nouveau, la notion de présent échappait de nouveau à son questionnement fébrile, les murs de la pièce dansaient pour changer brusquement de forme, malgré la révolte violente en elle pour tenter de résister contre cette intrusion mentale. Puis, sans ménagement, sans souci du risque déjà frôlé, O'Tran avait brusquement poussé au maximum la puissance du neuro-transmetteur électronique. Une secousse avait parcourue la jeune femme sous la douleur, sa main avait vainement tenté de s'agripper au siège le plus proche, et elle était tombée à la renverse, secouée de spasme face au décor qui peu à peu changeait, devant ses yeux grands ouverts. L'assistant avait poussé un juron étouffé et s'était précipité pour la soulever et la placer sur le siège, devant le regard narquois d'O'Tran. Sous les cheveux d'un noir profond éparpillés, la pierre ronde brillait d'un éclat agressif, blanche et éclatante. - ?ma chérie, tu m'écoutes ? Syëhl releva la tête et fixa la femme qui se tenait à coté d'elle, très occupée à natter une partie de ses cheveux noirs. - Ton père ne rentrera que tard ce soir, mais il faudrait lui faire la surprise? Son père? Pourquoi ce mot raisonnait-il comme quelque chose d'étranger, de neuf, dans sa tête. La femme encore jeune attachait maintenant en larges boucles les trois nattes déjà terminées, à l'aide de fleurs de tissus. Syëhl sentait ses doigts agiles et caressants maintenir fermement ses cheveux, puis piquer les tiges de métal habillées de tissus pour les fixer. Elle sursauta légèrement en sentant une brûlure minime à sa tempe droite. L'une des tiges avait du l'érafler par erreur au passage? Pourtant, lorsqu'elle y porta sa main, elle ne sentit aucune écorchure, pas la moindre trace. Mais déjà la douleur avait disparu et l'attention de la jeune femme était attirée de nouveau sur celle qui se penchait. Un visage familier, aux traits doux, un peu tristes? Pourquoi était-elle triste ? Sa mère?Elle le savait, mais cette raison, évidente pourtant, elle le sentait, lui échappait? - Quelle surprise ? s'entendit-elle demander. - Comment, quelle surprise ? Mais c'est son anniversaire ce soir ! Ne me dit pas que tu as oublié? Son anniversaire ? ce mot aussi semblait venir de très loin? trop loin? Syëhl eut un instant la conscience nette d'un décalage entre les mots prononcés et la situation où ils se plaçaient. Un sentiment de factice, qui lui laissa un malaise indéfinissable. Mais tout fuyait de nouveau, elle n'arrivait pas à se fixer sur une pensée pour y réfléchir, elle se sentait comme entraînée par une autre volonté. Son regard se rabaissa sur ses genoux et la vue de la robe satinée lui causa un instant un choc, comme si elle se fut attendue à autre chose. A quoi ? Levant les yeux, elle regarda l'image dans la glace en face d'elle, de cette jeune femme aux longs cheveux noirs nattés et coiffés savamment selon une mode inconnue, et habillée d'une robe aux couleurs chatoyantes et printanières, bien que de forme féminine et adulte. - Cela te plaît ? J'ai eu assez de mal à discipliner ces cheveux ! demanda encore sa mère avec un sourire. C'était elle ? Pourquoi tant d'étonnement ? Pourquoi avait-elle vu l'espace d'un instant une autre jeune femme, toute de noir vêtue, les cheveux lâchés sur un regard froid ? - c'est? Non, ce n'était pas ça? Quelque chose clochait? De nouveau, lorsqu'elle reporta son attention sur la femme en face d'elle, un autre flash, le même visage mais rempli de larmes, dans un décor de flammes, venait de remplacer un instant celui de celle-ci. Portant ses mains à sa tête, Syëhl y ressentit de nouveau, très accentuée, la brûlure à la tempe, sans en trouver encore l'explication. - Mais qu'as-tu ? ? Ma chérie? Dans la salle d'un blanc immaculé artificiellement éclairée, les deux hommes, scrutants des données défilant rapidement, assistaient aux réactions subconscientes de Syëhl? Comme dans un rêve, le temps induit par le neurotransmetteur était bien plus lent que dans la réalité, et trente minutes déjà s'étaient écoulées depuis le début de l'expérience, sans que celle-ci ne semble réagir négativement au stimulus émis? Puis brusquement, sur l'écran de contrôle, l'assistant voyait une nouvelle fois s'affoler les capteurs. A travers la vitre qui les séparait du fauteuil où il l'avait allongée, il la voyait se contracter sous la douleur et l'effort. Il savait qu'O'Tran avait poussé les capteurs au maximum, mu par la curiosité scientifique, près à tuer la jeune femme si cela pouvait lui livrer la clef de sa résistance? Passant outre la consigne de silence, il se retourna vers O'Tran : - Vous aller trop loin. Fouiller dans ses propres souvenirs pour récréer un environnement, c'est? au delà de ce qu'un être humain peut supporter? Même résistant ! Vous aller la briser psychiquement, si vous n'arrêtez pas la l'expérience? Mais le bruit d'ustensiles se brisant à terre coupa net son plaidoyer. D'un large mouvement de bras, O'Tran avait balayé la table où il se trouvait et fixait maintenant l'assistant, glacial et courroucé. - Les cobayes sont fait pour cela ! Qu'elle meure, on en trouvera d'autres? je ne tol? Mais que fait-elle ? Se retournant vers sa console de contrôle, il y consulta les données nouvelles qui y étaient apparues dans une sonnerie d'avertissement. Ce n'était plus seulement les capteurs dédiés à l'état de santé de la jeune femme qui s'affolaient, mais ceux, purement techniques, du rendement de l'inhibiteur neuronal. - Est ce qu'elle essayerait de? ? Impossible ! Dans la pièce ensoleillée, bruissante encore du chant de la brise extérieure sur les feuilles des arbres tous proches, une main s'était posée sur l'épaule de Syëhl, deux yeux tristes la fixaient. Dans un brusque mouvement de colère, Syëhl se dégagea et fixa cette personne en tenant sa tête. Triste, oui? mais? « tu n'es pas? triste pour cela? » La femme l'interrogea du regard sans comprendre. Elle semblait réellement inquiète? Mais ce n'était pas sa mère? Sa mère.. elle ne l'avait plus? La révélation s'inscrivait, soudainement dans son cerveau, un voile semblait se déchirer sur ses pensées floues, tout prenait tout d'un coup un relief et une netteté éclatante? Sa mère était morte. Comme son père? Elle ne se rappelait pas comment, mais ces gens-là étaient des imposteurs? Tout comme ce qui l'entourait? Et ce n'était pas elle, dans le miroir, cette jeune fille presqu'enfant habillée trop vivement? elle rejetait tout en bloc? Et brusquement, le décor se fragmenta, se décomposa pour laisser la place à la salle aveuglante où se tenaient O'Tran et l'assistant médusé. Voilà pourquoi ce sentiment d'univers factice? Mais cette fois, il avait chercher a utiliser ses propres souvenirs? sa mère dont elle ne gardait dans sa mémoire que ce regard triste d'avant l'accident? Voilà pourquoi l'image ne pouvait montrer que cette tristesse vague? Syëhl sentit la colère l'envahir au point de vouloir tuer. - Comment peut elle? ? Ce fut l'assistant qui répliqua à O'Tran, en vérifiant la console où les données s'étaient brusquement effacées. - Elle vient de court-circuiter l'inhibiteur ! - Elle a quoi ? ? C'est totalement impossible? Et pourtant, O'Tran regardait Syëhl se redresser dans le siège et le dévisager haineusement. Un instant, il eut peur. Peur de cette femme-enfant qu'il n'avait pas pu dompter, et qui défiait les lois de la science par une volonté au delà du pensable. Peur du désir très net de mort qu'il discernait dans son regard posé sur lui. Il dut faire appel à toute sa morgue de scientifique pour se débarrasser de ce sentiment d'incrédulité admirative et effrayée qui le tenait là, immobile, à observer l'impensable se réaliser, sans même songer à l'arrêter. Secouant la tête comme pour en chasser son inertie, il écrasa sous son poing rageur le bouton d'intercommunication avec les autres pièces. - Stan'dol, Follijn, au labo, tout de suite ! Déjà, d'une main tâtonnante, Syëhl portait sa main à sa tempe, enfonçait ses ongles sous le disque de métal et d'un geste furieux, arrachait l'inhibiteur neuronal d'un coup sec. La douleur des deux aiguilles extirpées si brutalement lui vrilla le front au point d'obscurcir un instant sa vision, mais elle eut encore la force de jeter à terre l'objet, qui se fracassa contre le sol dans un bruit de verre brisé. Baissant les yeux, elle regarda les débris de la pierre centrale, puis le visage décomposé par la colère et l'incompréhension d'O'Tran, ricana d'un air satisfait, puis s'écroula , vaincue d'épuisement, aux pieds du fauteuil où elle n'avait pas été attachée?
délivrance amère
Contre le mur , dans le recoin de cette salle anonyme et murée dans son silence, le visage frémissant aux yeux fermés s'était peu à peu incliné, inconsciemment, jusqu'à retomber finalement entre les bras réunis. Plus rien ne bougeait. Syëhl s'était endormie, malgré la menace, malgré la douleur, comme un animal blessé cède à sa fatigue dans un besoin instinctif de retrouver des forces. Le mince filet écarlate à la tempe s'était figé et laissait sur la joue pâle une délimitation sanglante. Quelques heures s'étaient écoulées ainsi, dans l'appesantissement invincible de ce sommeil de plomb, lorsque le contact d'une main sur son épaule lui fit reprendre conscience de la réalité. Sahsun, l'assistant d'O'Tran qui déjà l'avait veillée, qui avait permis quelle se rétablisse pour mieux recommencer ce calvaire, se tenait accroupi devant elle. Silencieusement, elle posa le regard sur le bras de l'homme à son épaule, qu'une poigne de fer venait d'enserrer avant même qu'elle ne soulève les paupières. Relevant des yeux d'un violet étincelant de colère, Syëhl fixa l'assistant, sans desserrer l'étau qui lui labourait le poignet. Un instant, elle se demanda si sa victoire sur l'inhibiteur neuronal n'avait pas été aussi qu'une vulgaire illusion, un test de plus, et si elle ne se trouvait pas encore sous l'emprise du petit appareil. Mais le sommeil qui l'avait vaincue quelques instants auparavant la quittait peu à peu et sa lucidité reprenait le dessus. Ce qu'elle analysait de ses perceptions ne ressemblait pas à ce vague sentiment de flou qui accompagnait toujours les illusions et lui avait permis de reconnaître le faux du vrai. Pas de décalage non plus? Elle était bien dans la réalité, et l'homme en face d'elle était concret. Celui-ci poussa d'ailleurs un gémissement de douleur, pliant le coude dans un mouvement de retrait, tout en chuchotant :
- Calmez vous? Nous devons parler? vite. La note d'urgence accompagnant ces mots intrigua Syëhl. Sans plus bouger, elle lui fit signe de continuer. - Vous rappelez-vous où vous êtes et ce qui vient de se passer ? Le ton n'était pas menaçant, presque inquiet plutôt. Lentement, la jeune femme hocha la tête affirmativement sans quitter du regard son interlocuteur dont l'expression du visage alternait assez comiquement entre le sérieux et la grimace de douleur mal réprimée. - Vous sentez-vous en état de vous lever? Cela, elle n'en était pas très sure? Son sommeil lui avait redonné des forces, mais la question était de savoir jusqu'à quel point. Toutefois, pour ne pas montrer sa faiblesse, elle acquiesça de nouveau. Celui-ci parut un peu soulagé. - Il faut faire vite? Vous allez partir. Je vais vous y aider. Un regard interloqué, fugitif, puis méprisant lui coupa un instant la parole. Mais il continua, d'un ton rapide et sincère. - Pas le temps de tenter de vous convaincre? c'est votre seule chance. Vous avez contré son système d'illusion neuronal. Pour réussir cela, il faut disposer d'une force mentale peu commune? Je n'aurais pas cru cela possible? comme O'Tran?mais je l'ai vu? Lui aussi d'ailleurs? Ca suffit à réduire à néant des semaines de théories sur la volonté subconsciente. Mais ne croyez pas que votre victoire soit de bonne augure. A vrai dire, c'est même le contraire. Vous êtes trop rebelle, vous ne correspondez plus aux critères qu'il recherche pour ses sujets. Vous incarnez même maintenant un danger pour lui. Comprenez-vous ? Il va vouloir vous écarter de son projet? et vivante, vous pourriez parler? Syëhl n'avait plus fait un geste et écoutait, éberluée, l'assistant parler d'une voix saccadée. Certes elle se doutait bien que sa bravade avait rendu O'Tran furieux. Elle s'en délectait même. Et elle savait aussi d'instinct qu'on ne ressortait de cet endroit que mort. Mais prendre le risque de la sauver, après tant de jours de silence?Un piège ? Dans ce cas là, l'acteur était parfait ! Ou l'odieux de la situation avait-il fini par pousser à l'action cet homme de laboratoire ? Il semblait sincère?Tournant la tête, Syëhl intercepta du coin de l'?il la caméra fixée au mur de la cellule. Il y en avait dans tout le bâtiment, elle les avait vu lors de sa dernière tentative. Celui-ci suivit son regard et anticipa la question. - Sur circuit dérivé? Elles diffusent du laboratoire tout entier une série de vidéos en boucle? Ca va nous donner un peu de temps? un peu? parce que les autres finiront par se rendre compte? nous aurons intérêt à être sortis à ce moment la? Syëhl relâcha lentement son étreinte, tout en continuant de le fixer de ses prunelles sombres. - Pourquoi ? C'était le premier mot que la jeune femme prononçait depuis l'entrée de l'assistant. Et il savait bien que cette interrogation ne portait pas sur la perspicacité des autres quand à son traficotage informatique? - Parce que j'ai? je ne veux pas qu'il en tue une de plus. Le silence régna quelques instants dans la pièce. Syëhl n'avait pas bougé, et son visage, encadré à la diable de ses longs cheveux noirs, reflétait l'incompréhension la plus totale, mais une incompréhension froide. Dans son esprit, une autre image apparut, le seul pour lequel elle ait jamais ressenti de l'affection. Voilà presque deux ans maintenant qu'il avait été tué par ceux qui devaient normalement aux yeux de tous représenter l'ordre et la sécurité, deux ans qu'elle vivait sans aucun lien, dans la perpétuelle attention d'un animal traqué, qui n'attend de ses semblables que ce qu'elle ressent elle-même, haine et colère. Elle ne pouvait comprendre. Elle s'était forcé à étouffer tout mouvement altruiste. Elle ne comprenait plus. Mais la voix de l'assistant se fit plus pressante, et Syëhl refocalisa son attention sur lui. - Il faut partir maintenant. Pourrez-vous marcher? Que faire ? C'était l'occasion rêvée, brusquement présentée devant elle, quand elle commençait à sérieusement ne plus y croire. Refuser cette tentative? Mais aurait-elle la force de supporter d'autres expériences, d'attendre un autre choix ? S'il y avait d'autres expériences? Elle avait profondément blessé O'Tran dans sa confiance, en contrant son principal outil de manipulation, elle le sentait. Son instinct lui disait qu'il avait raison, qu'elle était bien plus en danger après cette victoire, paradoxalement? Alors? Elle se mit debout avec plus de facilité qu'elle n'aurait pu le prévoir, même si le moindre mouvement provoquait encore un malaise aigu au niveau des tempes, surtout celle de droite, et une sensation de déséquilibre. Posant sa main contre le mur, elle chercha à maîtriser cette sensation de tournis. L'assistant avait suivi des yeux les gestes hésitants de la jeune femme avec une légère grimace d'angoisse. Ils n'y arriveraient pas si elle restait dans cet état de faiblesse. - Vous êtes encore trop lasse, et il nous faut faire vite. Vous devez me laisser vous donner de quoi tenir. Syëhl jeta un coup d'?il à la seringue qu'avait sorti Sahsun de sa poche de blouse. Même si elle détestait cette idée, il n'avait pas tord. Et puis faire tout ce cinéma pour la tuer en lui administrant un poison n'avait aucun sens. A contre c?ur, elle tendit son bras et sentit presque aussitôt la chaleur du liquide se répandre dans ses veines. - Il y a un instant dur à passer, mais c'est le prix à payer. Ne luttez pas, ca n'en finira que plus vite. Syëhl n'eut pas le temps n'analyser ses paroles. La sensation de vertige augmenta brusquement, tandis que l'impression de chaleur, envahissant tout son corps, frôlait l'étouffement. Paradoxalement, des flux glacés la parcouraient comme des lames d'acier. Crispant ses mains contre le mur, elle se maintint ainsi pendant ce qui lui sembla être une éternité, luttant pour reprendre son souffle. Puis, alors qu'elle commençait a douter de la nature du produit injecté, comme une vague se retire, tout se calma, la douleur disparut, ses forces revinrent. Desserrant les poings, elle se redressa. L'assistant la regarda tout en jetant la seringue à terre, où elle se brisa dans un très léger bruit cristallin. - Pas besoin de nous encombrer de ça. Si on nous arrête, nous sommes condamnés. Alors, s'embarrasser a cacher des preuves.... Le produit finira son ?uvre en chemin. Dépêchons. Il parlait d'une voix décidée que Syëhl ne lui avait encore jamais entendue, et se dirigea immédiatement vers la porte, qu'il ouvrit comme elle lui emboîtait le pas. Un long couloir réservé aux cellules se déroulait devant eux, vide. A son extrémité, la porte de communication buta contre un corps affalé au sol, dans lequel Syëhl reconnut l'un de ceux qu'utilisait O'Tran pour l'immobiliser quand elle se débattait trop. Elle jeta un coup d'?il à Sahsun. - Drogués? Ils en ont pour plusieurs heures? Faut pas rester là, avancez , sur votre gauche? Enjambant le corps, elle s'élança donc dans la direction indiquée, l'assistant sur ses talons. L'épuisement qu'elle ressentait était encore là, mais l'adrénaline qui montait en elle la fouettait tout autant que le produit, et elle retrouvait sa vivacité d'esprit et l'extrême agilité qui caractérisait la jeune femme bercée par les arts martiaux. « Presque trop facile pour ne pas cacher autre chose? ». Des couloirs tous aussi lugubres les uns que les autres défilaient, heureusement déserts en cette fin de journée. Sahsun avait planifié leur fuite pour quelle coïncide avec les heures de battement entre deux gardes. Syëhl observait les corridors par où elle passait en se remémorant sa tentative soldée par un échec. « Pas étonnant, tout se ressemble ». Au bout de dix minutes environ, ils approchèrent. Il leur fallut encore emprunter un ascenseur, unique moyen de remonter des sous-sols vers le rez-de-chaussée. En voyant les portes se refermer sur eux et l'engin commencer sa montée, Syëhl eut la sensation d'une main de fer resserrant son étreinte sur elle et elle se raidit inconsciemment, prête à réagir au moindre signe. Mais la progression semblait se dérouler sans ennui. Au second sous-sol pourtant, ils sentirent l'engin ralentir et se stabiliser. En une micro seconde, elle pensa à une trahison, sentit sa colère la submerger et se retourna d'un bloc vers le fautif. Mais celui-ci avait l'air si paniqué qu'elle hésita, et n'eut que le temps de se jeter contre la paroi pour se cacher à l'ouverture des portes, comme Sahsun le faisait de l'autre coté. Les deux hommes qui avaient appelé l'ascenseur pour remonter entrèrent en discutant tranquillement un schémas dont les courbes ondulaient sur un databloc. Les portes se refermèrent sur les deux scientifiques se retournant. Une expression de surprise intense se peignit sur leur visage à la vue des deux jeunes gens tapis dans les coins. La brusque sensation de souffle coupé et le contact du métal contre leur front précédèrent de peu le noir total : Syëhl les avait allongé contre les portes closes d'une détente, par un violent coup de pieds fouetté. Le databloc tomba au sol dans un fracas qui fut couvert par le bruit de l'ascension. Elle se pencha, ramassa ce modèle de poche qu'elle glissa dans ses vêtements, pendant que l'assistant, passé du rouge au blanc, regardait successivement avec une mine presque risible la jeune femme et les deux corps, interminablement. Le reste de l'ascension se passa sans grande surprise. Au premier sous-sol, l'ascenseur ralentit de nouveau, et tous deux, d'un seul mouvement, se plaquèrent de nouveau contre les parois. Mais les scientifiques assommés étaient plus que visibles, et ils durent happer par le col chacun d'une main l'homme dont le pied était resté en l'air à l'entrée de l'ascenseur, suspendu dans un ahurissement au moment de marcher sur un bras. Il fut sur le point de crier mais Syëhl, passant par derrière son bras autours de son cou, le fit taire aussitôt. Le couloir était heureusement vide de toute autre présence. Une courte bataille eut lieu pendant que les portes se rejoignaient au terme de laquelle l'homme après une secousse glissa, sans connaissance des bras de la jeune femme. L'appareil ralentit une troisième fois pour ouvrir ses portes sur le rez-de-chaussée. Ils touchaient au but. L'assistant lui avait fait signe de ne plus parler et de faire le moins de bruit possible pour passer les salles où se trouvaient les ordinateurs principaux, presque toujours surveillés et utilisés. De grandes vitres donnaient sur les couloirs et ils durent se pencher sur plusieurs dizaines de mètres? Ils étaient presque arrivés à l'autre bout lorsque Syëhl, jetant un rapide coup d'?il, vit la salle principale vide. Une courte flamme passa dans ses prunelles, et sans consulter son compagnon, elle se redressa et appuya sur l'ouverture électronique de la porte, qui coulissa sans rencontrer de résistance. ? « pff, pitoyable » Déjà, Sahsun l'attrapait par le bras, effrayé et voulait lui faire rebrousser chemin, mais d'un mouvement sec, celle-ci se dégagea, s'élança devant les consoles de l'ordinateur et commença à en forcer l'accès puis à rentrer des lignes de codes. Après une courte hésitation, l'assistant avait préféré rentrer et fermer la porte pour ne pas éveiller les soupçons, et s'était rapproché de la jeune femme en l'implorant - Vous allez nous faire repérer? Que faites-vous ? - Shut. Toute la ranc?ur de Syëhl s'était rallumée en voyant l'occasion qui se présentait à elle. Elle ne partirait pas d'ici sans tout détruire, sans réduire à néant les projets d'O'Tran, quels qu'ils soient. Les semaines de souffrances repassaient dans sa tête comme elle pianotait sur le clavier sensitif, sans même plus prendre de précaution pour se cacher d'un hypothétique passage dans le couloir. Les commandes étaient classiques, l'utilisation pour toute personne un tant soit peu formée en informatique, très aisée. Le seul obstacle était de contourner les différents mots de passe. Un sourire de satisfaction se dessina sur ses lèvres au bip affirmatif qui clôtura ses dernières inscriptions. Un compte à rebours s'alluma sur l'écran, devant les yeux agrandis de l'homme. - Qu'avez vous? ? Il n'eut pas le temps de finir. Une alarme se déclencha et une voix métallique se mit à réclamer l'évacuation immédiate des locaux avant l'autodestruction totale programmée. La seule chose qui colora désormais le visage de l'assistant fut les lumières alternatives rouges qui zébrèrent l'air. - L'auto? ? Mais vous êtes folle ! ! Syëhl se redressa et attrapa le bras de celui-ci pour l'entraîner vers la sortie de la pièce. - Folle ? Son ricanement fut couvert par l'alarme vagissant toujours, et il aperçut seul son regard sombrant dans le vertige haineux. - Peut-être? Et si vous ne voulez pas sauter, à vous de nous faire sortir, maintenant? Vous avez deux minutes ! Une minutes et 50 secondes après cet ultimatum, deux silhouettes sortaient du complexe en courant, sans avoir rencontré d'autres obstacles. Presqu'aussitôt, une détonation déchirait l'air. Le souffle brisa les vitres du rez-de-chaussée et en projeta les morceaux sur plusieurs mètres, dans un nuage étouffant de chaleur et de poussières. Des semaines plus tard, Syëhl devait apprendre que seul ce palier là, fermé de blindages, avait été pulvérisé, et que pas un de ceux qui l'avaient torturée n'avait péri dans l'explosion. Mais pour l'instant, la détonation semblait sonner de manière funeste et criminelle le glas d'un cauchemar de plusieurs semaines. A quelques mètres de la, Syëhl s'arrêtait de courir et se retournait, sans même prêter attention aux minuscules projectiles qui striaient l'air, pendant que de nouvelles explosions de moindre puissance terminaient la réaction en chaîne. De nombreuses petites coupures apparurent à ses bras nus, et une entaille légère à la joue, qu'elle essuya d'un revers de main machinal, fixant à travers les vapeurs de chaleur troublant la vision son lieu de torture. L'assistant, effaré par le bruit, se retourna aussi, plus en recul, et embrassa du regard la scène. De longues flammes léchaient avec un appétit vorace les murs ternes. Les détonations s'étaient arrêtées, et le bâtiment flambait, dans un silence que seul troublaient les crépitations du feu et quelques craquements sinistres. Seul sur ce fond éclatant se détachait la silhouette élancée et immobile. Le vent autours d'eux attisait l'ouvrage, fouettait les longs cheveux noirs et leurs mouvements, soulignés par les reflets incandescents qui y miroitaient, rappelaient les flammes se tordant en arrière plan à un tel point qu'il eut un instant l'impression qu'elles l'entouraient comme pour la draper et faire corps avec elle. La majesté qu'elle possédait déjà deux ans auparavant lorsqu'elle marchait vers Gaïlon, sa cape jetée négligemment sur les épaules, s'était renforcée de ces deux années d'exil et de souffrance, et ressortait ce soir dans cet univers brûlant qui était son ?uvre, dans ce regard qui ne se baissait pas, dans tout cet être qui semblait défier et s'approprier à la fois du regard le chaos environnant. Interdit et comme fasciné, il regardait cette inconnue comme s'il la voyait pour la première fois.. Il eut tout d'un coup la vision fulgurante et écrasante d'une force sauvage, dont Syëhl elle-même ignorait la présence en elle, d'une puissance encore brute, comme encore non aiguisée, indécise sur le chemin qu'elle prendrait, mais qui ferait beaucoup, en mal ou en bien, et qui ce soir se manifestait déjà dans son regard, et promettait de se libérer de sa cage, un jour, bientôt?. Quelles portes O'Tran avait-il ouvertes en elle ? Qui avait-il sauvé ? Ce crépitement, n'était-ce pas le feu qui murmurait à l'oreille de la jeune femme sa fraternité, qui lui annonçait d'un air victorieux son destin ? Mais tout ce qu'il entrevit ne dura qu'un instant, et peut-être en eut-elle aussi conscience furtivement, car il la vit frissonner, détourner le regard et s'élancer vers l'autre bout de la rue à sa suite. Il était d'ailleurs plus que temps, l'explosion et l'incendie commençant à ameuter les alentours. La seconde d'après, comme il tournait la tête vers elle, elle était redevenue la jeune femme mystérieuse dont la volonté avait triomphé de la technologie, certes, mais une humaine avec ses faiblesses et ses forces, dont le visage reflétait l'épuisement. Dans l'ombre des petites ruelles menant aux vaisseaux de la ville, par où, une fois de plus, elle fuirait dans la clandestinité, Syëhl laissait derrière elle un chaos de flammes, la destruction, la mort peut-être de celui qui l'avait torturée? En elle, quelque chose criait sa haine, sa colère?son désespoir. |
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